Amadou Lamine Sakho : « Le Parti socialiste a été créé à l’hôpital Principal »

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Son nom ne revient pas très souvent dans l’histoire du Parti socialiste. Et pourtant, c’est Ibrahima Seydou Ndao qui a fondé le Bds dans son lit d’hôpital, à Principal. L’homme qui faisait condamner ou affecter les colons s’est aussi occupé du titre foncier de Touba qu’il a remis au fils ainé de Bamba. Qui était donc Ibrahima Seydou Ndao, alias Jaraf décédé le 13 août 1969. Seneweb s’est entretenu avec son ancien secrétaire particulier Amadou Lamine Sakho, à l’occasion des 51 ans de sa disparition.

Le 13 août 1969 décédait un leader politique sénégalais du nom d’Ibrahima seydou Ndao. Qui était cet homme ?

Ibrahima Seydou Ndao était une personne unique dans le monde politique sénégalais. Il était très difficile de voir une personne comme lui. Il mesurait 2 mètres et pesait 145 kilos. Il était plus grand que Lamine Gueye et le général De Gaulle.

Ce qui fait sa différence par rapport aux autres, c’est qu’il n’est pas arrivé dans le champ politique par hasard. Il s’est d’abord investi auprès de la population. Il réglait les problèmes des personnes nécessiteuses et il combattait l’injustice. C’est ce qui l’avait d’ailleurs poussé à être agent d’affaires. Et il plaidait comme avocat au barreau de Kaolack. Grâce à cette fonction, il avait beaucoup de distinction. On l’appelait Jaraaf tellement qu’il était toujours du côté des opprimés. Il ne laissait personne oppresser les populations. Il n’épargnait même pas les commandants de cercles, chefs de cantons, et chefs de subdivisions. Il s’est battu avec beaucoup d’administrateurs de colonie. Et finalement, les uns ont été affectés et les autres rapatriés en France.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ces faits d’armes ?

Un jour, à Kaffrine, dans une localité appelée Keur Mousseu, un commandant de brigade qui était à Kaolack qui s’appelait Ageney avait ligoté le chef de village pour une histoire d’impôt. Il le torturait devant tout le village. Un de ses neveux est parti à Kaolack pour le dire à Ibrahima Seydou Ndao.

Quand il est arrivé au village, le commandant a demandé à ce qu’on détache le vieux. Malheureusement pour lui, Ibrahima l’a vu. Il a amené le commandant tortionnaire à Kaolack avant de porter plainte contre lui en compagnie d’un de ses amis André Gide qui était à l’époque contrôleur des contributions diverses et écrivain. Il a transféré le dossier à Isaac Foster qui était à l’époque un jeune avocat au tribunal de Dakar. Après le procès, Ageney a été sanctionné.

L’autre anecdote, c’était à Gossass. Un conseiller de Blaise Diagne avait commis une infraction avec sa voiture. Le gendarme qui l’a arrêté refusait de négocier. Finalement, le conseiller de Blaise a dit que le gendarme l’a offensé. Arrivé à la gendarmerie, le commandant a demandé au gendarme de lui restituer ses papiers, et ce dernier a dit niet. Au finish, le commandant s’est attaqué au gendarme. Le gendarme blanc est allé se plaindre auprès d’Ibrahima Seydou Ndao qui a pris les choses en main. Le commandant a été sanctionné. Cette histoire figure dans le livre d’Abdou Sow avec beaucoup plus de détails.

Comment a été la trajectoire politique d’Ibrahima Seydou Ndao ?

En 1945, il militait auprès de Lamine Gueye pendant les élections du conseil général. A l’époque, Lamine Guèye était un peu impuissant devant Galandou Diouf. Pour gagner Ngalandou Diouf à Kaolack, il fallait forcément avoir Ibrahima Seydou Ndao car il était très influent dans le Sine-Saloum. Ce dernier était également le premier grenier électoral du Sénégal. Le département de Kaffrine faisait le tiers de l’électorat du Sénégal. Quand Lamine Guèye a gagné, il a été nommé président de la commission permanente du conseil général.

En 1946, Senghor est venu. A cette époque, l’article 14 du règlement de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière), disait qu’il fallait 3 ans ou 3 mois d’expérience pour avoir des responsabilités. Mais 16 heures après l’arrivée de Senghor dans le parti, Lamine Guèye l’a inscrit sur la liste des députés pour qu’il soit son adjoint. Ce qui avait créé des tensions dans le parti.

Mais malgré les révoltes, Lamine Gueye a imposé Senghor. Et c’est comme ça que Senghor est devenu député.

Avec le temps, la mal gouvernance et la dilapidation des ressources a régné au sein du parti Sfio. Les gens utilisaient l’argent pour des voyages et autres.

Ibrahima Seydou Ndao, Senghor et Mamdou Dia, Boissier Palun, André Guillabert se sont tombés d’accord sur le fait qu’il fallait combattre cette politique gabégique. Les partisans de Lamine ont publié des articles incendiaires sur Senghor (dans le journal Aof). Quand la lutte a pris de l’intensité, le courant de pensée créé dans le parti et qui revendiquait un socialisme africain a lancé un journal, Condition humaine. C’est l’époque où Senghor les appelait népotistes. Et ils surnommaient Senghor ‘’le petit député kaki’’.

Comment est intervenu l’accident ayant rendu infirme Ibrahima Seydou Ndao ?

Un jour, Ibrahima Seydou Ndao a eu une mission à Dakar en sa qualité de président permanent du conseil général. Il a été accompagné de Boissier Palun et Bengeloun, son chauffeur. Au départ, Boissier voulait conduire. Mais puisque Ibrahima Seydou Ndao est un homme de droit, il a refusé, lui demandant de laisser le chauffeur conduire puisqu’ils sont en mission commandée.

Arrivée à Thiès, après le rail, à droite, il y avait un endroit pour prendre le petit déjeuner. Après avoir mangé, Boissier a forcé pour prendre le volant. Ibrahima l’a laissé faire.

A hauteur de Allou Kagne, ils ont trouvé un tas de pierres destiné à la construction de la route. Le véhicule a heurté le tas et s’est renversé. Puisqu’Ibrahima Seydou Ndao était un géant, quand il a percuté la portière, elle s’est ouverte. Il est tombé en premier et le véhicule est tombé sur lui. Les deux passagers se sont fait aider par un passant. Ils étaient donc 3.

Mais à chaque fois qu’ils parviennent à soulever le véhicule et que l’un d’eux se retire pour extirper le corps, le véhicule tombe à nouveau sur la victime. C’est pourquoi l’accident a eu une telle gravité.

Quand on l’a amené à l’hôpital, il a demandé à voir le médecin de garde. Quand ce dernier l’a vu, il s’est demandé s’il avait affaire à un homme. Comment quelqu’un dans cet état peut être conscient au point de s’intéresser au médecin de garde.

On lui a fait les premiers soins, puis il est évacué à Dakar, à l’hôpital Principal au bloc ‘’opérés récents’’. Il a été plâtré de la tête au pied. Il est resté à l’hôpital de mars à novembre 1948.

9 mois sur un lit d’hôpital. Comment a-t-il pu poursuivre la politique dans ces conditions ?

Un jour, Senghor, ayant compris qu’Ibrahima Seydou Ndao sur qui il comptait pour sa politique sera paralysé le restant de sa vie, a décidé d’aller lui rendre visite à l’hôpital.

Il a pris un avion le 24 septembre 1948, dans la nuit. Boissier Palun, un ami à lui et à Ibrahima Seydou Ndao est allé le prendre. Quand Senghor venait au Sénégal, il logeait chez Palun avec sa première femme, Ginette Eboué.

Le lendemain matin, accompagné de Boissier, Senghor est allé voir Ibrahima. Ils l’ont trouvé à la chambre numéro 5 des opérés récents. Boissier a introduit Senghor qui lui fait part des raisons de sa visite. D’abord s’enquérir de son état de santé, ensuite lui annoncer sa décision de quitter la politique. Senghor lui dit : ‘’j’ai d’ailleurs démissionné du parti et quand mon mandat de député prendra fin, je ne me représenterais pas. Je vais abandonner la politique et rester en France pour enseigner les jeunes Français ».

Ibrahima Seydou Ndao lui répond : « Si tu le fais, tu as trahi. Nous avons débuté cette bataille contre Lamine Guèye et la mal gouvernance. Si tu te retires dans ce contexte, ça devient un acte de trahison ».

« Ibrahima a dit à Senghor qu’il ne comptait ni sur la France, ni sur les 4 communes, mais plutôt le monde rural pour vaincre Lamine Guèye. Boissier Palun était du même avis que Ibrahima Seydou Ndao. Il a regardé Ibrahima Seydou Ndao et lui a demandé quel nom donnera-t-on au parti. Il lui a dit : Bloc démocratique sénégalais. Boissier a sorti son agenda et a noté le nom. C’était le 28 septembre 1948 à l’hôpital Principal ».

Senghor lui fait remarquer qu’il ne peut pas faire autre chose au vu de la force politique de Lamine Guèye et du soutien du gouvernement français, de l’administration coloniale et de certains religieux dont il bénéficie. Il contrôle les 4 communes. Comment peut-on le combattre ?

Mais Ibrahima dit à Senghor qu’il est possible de le combattre. Mais Senghor lui dit que ce n’est pas possible dans son état physique. C’est alors qu’Ibrahima lui dit qu’il est certes paralysé, mais pas handicapé. Puisque, pour lui, il n’y a qu’un seul handicap : celui mental.

Qu’a-t-il mis sur la table, puisqu’il semblait si sûr de lui ?

Ibrahima a dit à Senghor qu’il ne comptait ni sur la France, ni sur les 4 communes, mais plutôt le monde rural pour vaincre Lamine Guèye. Boissier Palun était du même avis que Ibrahima Seydou Ndao. Il a regardé Ibrahima Seydou Ndao et lui a demandé quel nom donnera-t-on au parti. Il lui a dit : Bloc démocratique sénégalais. Boissier a sorti son agenda et a noté le nom. C’était le 28 septembre 1948 à l’hôpital Principal. Boissier lui souligne la nécessité de commander des cartes de membres et lui demande le nombre. Ibrahima lui dit qu’il faut commander 3 000 cartes.

Senghor s’est levé et lui dit : Ibrahima, voilà ce dont je parlais, tu es affecté par ton accident, on dirait que tu ne connais pas Lamine Guèye. Comment peut-on créer un parti d’opposition contre Lamine Guèye avec toute sa force et parler de 3 000 cartes membres au lancement. On devrait plutôt commencer par 300 ou 4 00 et augmenter le nombre au fur et à mesure qu’on place les cartes.

Ibrahima le regarde d’un air dépité et dit à Boissier : Est-ce que tu as entendu ce que j’ai dit ? Boissier répond par l’affirmative et lui dit : président, d’ici après demain, je t’amène tes cartes.

Il est allé à la mission catholique de Dakar, à côté du commissariat central de Dakar pour commander 3 000 cartes. Le surlendemain, il a amené les cartes.

Ibrahima Seydou Ndao a alors appelé un nommé Ibrahima Sène (Gandiaye) et un autre ami qui était à Kaolack, il était un enseignant. Quand ils sont venus à l’hôpital, il leur a donné les cartes pour qu’ils les amènent à Kaolack chez un nommé Ismaëla Diouf qui habitait Kaznac, un manchot (mutilé de guerre), président des anciens combattants.

« Les leaders sénégalais qui font des déclarations à l’étranger ne datent pas d’aujourd’hui. Senghor l’a fait pour la première fois en 1957 ».

L’autre partie des cartes a été amenée à Fatick. Il a fait appel à Mamadou Dia par le biais de Alioune Seck Paté, son ami boulanger qui habitait Ziguinchor. Il a informé Mamadou Dia de la création du parti. Dia qui était un combattant était content de la nouvelle. Il lui dit : Je veux te confier 3 missions dans le parti, puisque Senghor est indolent et son cœur n’est pas dans le parti, il n’est pas motivé. Quant à toi, je connais ton engagement. C’est pourquoi je veux te confier ces trois missions. La première concerne les documents de base (statuts, programme…), c’est à toi de les rédiger. Tu amèneras de quoi prendre note et je te donnerais les grandes lignes.

La deuxième concerne l’implantation et la structuration du parti. La troisième concerne le secrétariat général du parti, je vais te le confier provisoirement jusqu’au congrès. Libre aux militants de te reconduire ou de choisir un autre. Mamadou Dia a accepté les trois missions.

Ce même Boissier Palun (un riche métis d’un père Blanc et d’une mère Béninoise, Docteur en droit) est allé à la manutention africaine acheter pour le parti une voiture qu’on appelle Car rapide Ndondy. Mamadou Dia a sillonné le pays avec ce véhicule. Dia s’est fait accompagné de Sengane Ndiaye.

A chaque fois qu’il doit partir, Ibrahima Seydou lui indiquait la personne qu’il devait voir une fois sur place, afin que le parti soit implanté dans cette localité. C’est comme ça que Dia a fait le tour du Sénégal.

Pour des personnalités qui ont été liées à ce point, pourquoi Senghor a-t-il censuré La lettre d’hommage d’El Hadji Cheikh Mouhamed Fadel Kane, lors du décès d’ISN ?

Ce sont les Blancs qui ont détruit les relations entre Senghor, Dia, Ibrahima Seydou Ndao et Boissier. En 1957, quand les Blancs ont compris que l’indépendance était inévitable, ils ont fait leur plan. Ils ont accepté les indépendances tout en choisissant leurs hommes. Ceux qu’on appelait les progressistes, c’est-à-dire ceux qui se battaient pour leur pays ont tous été écartés. C’est ainsi qu’ils ont réconcilié Senghor et Lamine Guèye.

Senghor a fait une déclaration. Les leaders sénégalais qui font des déclarations à l’étranger ne datent pas d’aujourd’hui. Senghor l’a fait pour la première fois en 1957. Il avait fait une déclaration pour dire qu’il a été décidé de fusionner la Sfio et le Bds.

Comment Ibrahima Seydou Ndao a-t-il réagi ?

Quand Ibrahima Seydou Ndao l’a entendu, ça lui a fait mal. Quand Senghor est revenu, il l’a attaqué. Il lui a demandé si le parti ou les hommes lui appartiennent pour qu’il se permette, tout seul, d’annoncer une telle décision, sans consulter les responsables, encore moins la base. Mais Senghor est malin. Quand Ibrahima Seydou Ndao a voulu s’opposer à lui, il lui a dit : c’est toi qui m’as porté à ce niveau, tu ne peux pas réduire à néant tout ce travail. J’ai déjà donné ma parole, le monde entier en est informé. Si je suis désavoué, je ne serais plus qu’une lope humaine.

Et avant cela, quand le Bds a battu le Sfio en 1951-52, Lamine Guèye avait dit à ses proches que ce n’est pas Senghor ou Mamadou Dia qui l’a battu, mais Ibrahima Seydou Ndao. Il avait promis de les diviser. C’est aussi l’une des raisons qui ont fait que Ibrahima a refusé. Mais il a fini par accepter.

« Quand il y a eu le décès, Cheikh Mouhamed Fadel Kane a fait un témoignage envoyé à Dakar Matin. Ça n’a pas été publié. On a dit que c’est Senghor qui l’a censuré ».

C’est donc le début de la brouille ?

Leurs relations avaient déjà commencé à se détériorer. Les colons voulaient écarter ISN et Mamadou Dia. Ils ont commencé par le premier. Ils l’ont bousculé à plusieurs reprises en bureau politique, en vain. Ils ont fait en sorte qu’il démissionne. Ils lui ont envoyé des notables qui lui ont demandé de démissionner et de créer un autre parti comme il avait fait lors de la crise de la Sfio pour battre à nouveau ses adversaires du Bds. Il les a suivis. Mais ce fut la plus grande erreur politique d’Ibrahima Seydou Ndao. C’était en 1958.

C’est ainsi qu’il a quitté le parti pour s’allier avec Cheikh Tidiane Sy dans le Parti de la solidarité sénégalaise. C’est comme ça qu’ils ont écarté ISN et plus tard Mamadou Dia, en 1962.

En fait, Senghor était le candidat des Blancs, mais il savait qu’il n’allait pas pouvoir gouverner à côté de ceux-là qui l’ont créé.

Concrètement, comment la présidence avait censuré la lettre ?

Quand il y a eu le décès, Cheikh Mouhamed Fadel Kane a fait un témoignage envoyé à Dakar Matin. Ça n’a pas été publié. On a dit que c’est Senghor qui l’a censuré. Dans ma lecture, il y a un passage qui a dérangé Senghor. C’est quand Kane parlait de la dimension d’ISN. Il a dit : de tous ceux qui ont fait de la politique au Sénégal, il n’était légal de personne. Il était plus grand qu’eux sur toutes les dimensions, comme il l’a été avec sa taille. Senghor étant tout petit s’est sans doute senti visé. C’est ça ma lecture.

Donc Ibrahima Seydou Ndao n’a jamais eu les hommages dus à son rang ?

Jamais ! Ça m’a beaucoup irrité. Avec tout ce que Ibrahima Seydou Ndao a fait dans ce pays. Je vous ai raconté une partie ; il en reste beaucoup. C’est lui qui s’est occupé du titre foncier de Touba et l’a remis à Cheikh Mamadou Moustapha, après le lui avoir suggéré. C’est lui qui a fait Senghor, il a été le premier à avoir décelé les qualités exceptionnelles de Mamadou Dia. Ce dernier n’était même pas d’accord pour faire de la politique.

Est-ce que par la suite, les Président Diouf, Wade ou Senghor ont essayé de rectifier le tir ?

En 1998, lors du cinquantenaire du Parti socialiste, je suis resté jusqu’à l’approche de la fin, sans entendre nulle part le nom d’Ibrahima Seydou Ndao. J’ai alors rédigé un article avec comme titre : si le Bds était une personne, son nom de famille serait Ndao. Quand je suis arrivé à Walf, j’ai vu Camara (Abdourahmane) et les autres journalistes à la rédaction. Après lecture, ils me regardaient sans rien dire. Quelques temps après Chopin, un journaliste de Walf à Kaolack qui était un ami s’est précipité dans mes bras. On lui demande s’il me connait. On lui dit : il nous a amené un témoignage sur le Ps qui nous a surpris. C’est lui qui leur a dit : vous pouvez lui faire confiance, il sait de quoi il parle. J’en prends la responsabilité.

Quand l’article a été publié, Diouf et Tanor qui n’en revenaient pas ont essayé de contacter les anciens. Ils ont appelé Guillabert par téléphone. Après lecture, il a confirmé. C’est ainsi qu’ils ont décidé de rectifier le tir. J’étais parti au Saloum, à Médina Sabakh. Au retour, à hauteur de Ndoffane, j’entends à la radio Tanor Dienf déclarer au meeting de clôture : nous avons décidé de créer une fondation au nom du président Ibrahima Seydou Ndao. Cette fondation sera pour les Sénégalais, ce que la fondation Jean Jaurès est pour les Français. J’ai commencé à pleurer, je ne pouvais plus conduire. Je me suis mis sur le bas côté, en attendant de calmer mon émotion avant de repartir.

Diouf avait l’intention de le faire, mais il a perdu le pouvoir à l’élection de 2000. C’est pourquoi j’ai écrit une lettre à Macky Sall pour lui demander, au nom de la continuité de l’Etat, de concrétiser cette idée de Diouf. Je lui ai dit, à titre illustratif : Diouf a voulu décorer Me Bourgi, mais c’est vous qui l’avez fait. Vous devez donc le faire pour Ibrahima Seydou Ndao. Je lui ai rappelé qu’ils célèbrent de moins méritants au détriment des plus méritants.

Vous qui connaissez l’Etat d’hier, quelle appréciation faites-vous de l’Etat d’aujourd’hui ?

C’est après le départ de Lamine Guèye que le Sénégal a eu un Etat. Ibrahima Seydou Ndaw est devenu président de l’Assemblée et Mamadou Dia président du conseil à en 1957 et si vous faites la comparaison entre le Sénégal d’avant et d’aujourd’hui, il y a une très grande différence.

A l’époque, on était tous dans un même parti, si tu participes à la réunion à l’Assemblée avec les ministres tu vas croire qu’ils sont des adversaires. Les députés se déchirent avec le gouvernement. La preuve, il y avait une réunion qu’on avait fait à l’Assemblée avec les ministres et on a voulu prendre la région de Kédougou pour y implanter une préfecture. Valdiodo qui était ministre de l’intérieur avait refusé.

« Mamadou Dia était en voyage, à son retour il a trouvé que des députés avaient fait des prêts alors qu’il leurs avait dit de ne pas toucher à l’argent. (…)Il a demandé à ce que tout le monde rembourse l’argent qu’il a pris ou on le met en prison ».

Il a dit : avant de parler de préfecture, il y a une chose qui prime d’abord. Sur le plan matériel, on doit préparer Kédougou, c’est-à-dire mettre en place les infrastructures entres autres. Maintenant, si tout est en place, on peut parler d’autres choses. Juste pour dire qu’on faisait de chauds débats et à chaque fois qu’une personne prenait la parole, tu sentais qu’elle parlait pour l’intérêt du pays. Mamadou Dia, ce qu’il a dit en premier c’est : ‘’avant d’entamer la construction du pays, il faut d’abord penser à la reconversion des mentalités’’. Ce qui veut dire que quand ils ont fait tomber Lamine Guèye, ils étaient en redressement. C’était la première alternance avant l’indépendance.

A l’époque, personne ne pouvait accéder à l’argent du pays ou en faire ce qu’il voulait. Un jour, Mamadou Dia était en voyage, à son retour il a trouvé que des députés avaient fait des prêts alors qu’il leurs avait dit de ne pas toucher à l’argent. Il a créé la BNDS (Banque nationale de développement du Sénégal) pour le monde rural, il a créé l’USB (Union sénégalaise de banques) pour l’entrepreneuriat. Il a dit que les hommes d’affaires aillent à l’USB, et le monde rural à la BNDS. Pour les ministres, députés, personne n’a le droit de prendre de l’argent dans ces deux banques là et si quelqu’un parmi ces derniers veut de l’argent qu’il aille dans les autres banques.

C’est quand il a voyagé qu’ils ont commencé à violé la loi en prenant l’argent et quand il est revenu et a eu écho de ce qui s’était passé, il était dans tous ses états. Il a demandé à ce que tout le monde rembourse l’argent qu’il a pris ou on le met en prison.

Ce sont ces mêmes députés qui ont monté un coup contre lui en collaboration avec un Blanc. Ils se rencontraient à la corniche la nuit et un jour ils signaient la pétition en échange d’argent. Telles sont les raisons de leurs départs de l’Assemblée. Mais si c’était des députés sans taches, exemplaires, ils n’auront pas à subir ce sort. Mais il savait qu’ils étaient des députés corrompus qui utilisaient les moyens illégaux pour le faire tomber.

Qu’est-ce que ça vous fait de voir que ni l’IGE, ni la Cour des comptes ne produit de rapport sur cette assemblée ?

Cela me fend le cœur, c’est une très grande déception pour moi car il y a une très grande différence avant et maintenant. Celui qui est là actuellement (Macky Sall), il s’est basé sur cela pour accéder au pouvoir. Il s’est mis en face de la population et lui a promis qu’il allait amener une autre politique différente de celle qui est là, il avait prôné ‘’la politique de rupture’’. Prendre l’argent du pays, c’est fini, si quelqu’un ne s’applique pas la loi, il aura des soucis avec la justice.

« Serigne Touba qui a créé le Magal n’a pas indiqué un lieu. Il n’a pas dit que c’est à Touba. Il avait dit que chacun le célèbre là où il se trouve ».

Quand j’ai entendu son discours, j’étais enthousiaste et malgré mon âge, mon handicap, j’ai participé à son élection parce que je me suis dit s’il applique ce qu’il a dit, le Sénégal va se développer car c’est ce qui nous manquait. C’est la raison pour laquelle quand il a fait ce discours tout le monde s’était rangé à ses côtés, ce qui lui a valu les 65% à l’élection.

Est-ce à dire que vous avez eu une déception par la suite ?

J’ai été déçu depuis son premier mandat. Il y a eu des gens qui sont venus me voir et je leur ai dit qu’il m’avait déçu et j’ai décidé de ne plus voter pour lui. Après quelques échanges, ils ont fini par me convaincre en me faisant savoir qu’il tiendra sa promesse avec le deuxième mandat. C’est la raison pour laquelle je l’ai encore soutenu à son deuxième mandat et c’est une chose que je regrette actuellement. Ce qui me fait le plus mal, c’est que si Macky perd il ne sera pas le seul perdant mais l’alternance générationnelle en souffrirait car personne n’aura plus confiance.

Etes-vous de ceux qui pensent qu’il va tenter un troisième mandant ?

Quand j’en ai parlé pour la première fois, c’était avec un ami et j’ignorais d’où il avait l’information. Il m’a dit est-ce que tu sais que Macky va demander un 3e mandant, ce que je ne croyais pas. Mais actuellement, là où nous en sommes, un troisième mandat ne surprendra guère.

Nous sommes en pandémie de Covid-19. Que appréciation faites-vous de la gestion de cette crise ?

Quand ils ont dit qu’ils allaient lutter contre cette pandémie, j’ai dit à mes proches que je ne suis pas d’accord car on fait la guerre avec quelqu’un que tu vois mais combattre quelqu’un dont tu ignores sa force, c’est impossible. J’avais dit qu’il fallait l’éviter pour survivre. Les gens doivent l’éviter s’ils veulent s’en sortir.

Le Magal de cette année coïncide justement avec cette pandémie de Covid-19. Certains demandent à le célébrer autrement. En tan que mouride, qu’en quel est votre avis ?

Serigne Touba qui a créé le Magal n’a pas indiqué un lieu. Il n’a pas dit que c’est à Touba. Il avait dit que chacun le célèbre là où il se trouve. Et jusqu’à présent, il y en a qui le fêtent chez eux comme l’avait demandé Serigne Touba. Tivaouane n’appelait personne à venir, ils faisaient la même chose que Touba.

Malgré le manque d’infrastructures et autres, les gens veulent aller là-bas en période de Covid-19. Certes je ne suis qu’un talibé mais si on m’avait demandé, j’allais dire à ce que chacun fête le Magal chez lui car le plus important c’est la vie et la santé. Sans ces deux là, l’existence n’aura pas de sens.

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