Le commerce d’alcool fait recettes à Grand-Yoff. Les bars légalement installés et les ‘’clandos’’ y fleurissent, à tous les coins de rue. Ces lieux de beuverie cohabitent avec des établissements scolaires. Ce qui expose les élèves à la tentation de l’alcool. Des voix s’élèvent pour dénoncer cette cohabitation.
Reportage.
Grand-Yoff est une commune à habitation dense. L’enchevêtrement des maisons en est l’une des caractéristiques. Nelson Mendy tient sa petite boutique de boissons alcoolisées dans une ruelle du quartier Juma Ji. La trentaine révolue, il s’est établi dans son local depuis six ans. Vêtu d’un pantalon et d’une chemise bleue, crâne rasé, il range ses bouteilles de vin à moitié pleines, tout en nous confiant que sa boutique est fréquentée par des jeunes.
‘‘Ma clientèle est formée de jeunes de 25 ans, pour la plupart. N’empêche que j’en reçois aussi qui ont moins de 20 ans’’, dit-il. Avant de se retourner pour servir un client ayant approximativement la trentaine, venu s’approvisionner. Il lui sert un mélange de vin et de jus de fruits dans une tasse à jeter. ‘‘Les relations amicales que j’entretiens avec les jeunes font qu’ils viennent se servir ici, et ils sont essentiellement musulmans’’, explique-t-il.
Sur la cohabitation entre les bars et autres établissements du même acabit et les écoles, il répond : ‘‘Ce n’est pas joli à voir, mais je ne pense pas que cela puisse être un appel à la consommation des jeunes. Je ne vends pas aux enfants, même s’ils sont envoyés par leurs parents. Je leur demande de ne plus revenir.’’
A quelques jets de chez Nelson, Arame Diédhiou, une jeune dame de teint clair, tient son commerce de jus locaux devant chez elle. Interpelée sur la question, elle renoue son foulard mauve, émet un rictus avant de se prononcer. ‘‘Les jeunes sont très exposés à la boisson alcoolisée, à Grand-Yoff. On a peur pour nos enfants. Je dors souvent avec la crainte de voir mes enfants se saouler, un jour’’, lâche-t-elle, avant de plonger la main dans sa glacière pour récupérer une bouteille de jus de ‘‘bissap’’ qu’elle tend à un petit garçon. Elle poursuit en insistant sur l’accès facile de la boisson alcoolisée aux jeunes dû à l’influence qu’exercent sur eux les adultes qui s’en donnent à cœur joie dans la rue. ‘‘Les cannettes d’alcool vides sont jetées dans la rue. Ça constitue une influence pour nos enfants qui sont de jeunes élèves’’, s’emporte-t-elle.
L’impact de l’alcool sur les études
Albert Ndong est directeur adjoint d’une école privée à Grand-Yoff. A son avis, cette situation est regrettable, du moment où leur cohabitation devient de plus en plus dangereuse. ‘‘Nos élèves sont souvent terrorisés, quand un ivrogne passe’’, regrette-t-il. D’après l’adjoint, le directeur de l’école est sensible à la question. Ainsi, il a mis en évidence, sur la devanture de l’établissement, un message qui sensibilise sur les méfaits de l’alcool.
Devant cette pléthore de cabarets et la facilité avec laquelle l’alcool circule, il est bien difficile, pour certains élèves, de ne pas céder à la tentation. Ce qui impacte sur les études. Nando Dasylva est un élève en classe de terminal S2. Il affiche un large sourire, à l’évocation du sujet, et exprime sa joie de pouvoir en parler. Il est confronté, tous les jours, à l’ambiance ésotérique de la commune. ‘‘Les ivrognes sont souvent violents, ils créent du boucan insupportable. Je ne parviens pas à me concentrer, la nuit. Un élève a besoin de quiétude pour faire de bons résultats. Mais, avec ces bars, il est impossible de ne pas voir des scènes de violence’’, se désole-t-il. Poursuivant, il évoque le problème de l’insécurité qui se pose. ‘‘Certains enfants, dès l’âge de 15 ans, commencent à boire de l’alcool’’, regrette-t-il. Avant d’expliquer que beaucoup de ses camarades ont abandonné les études, à cause de leur addiction.
La consommation précoce de l’alcool favorise les échecs scolaires, d’où le faible taux d’alphabétisation à Grand-Yoff, renseigne Yolande Gomis, Directrice d’une école privée dans le quartier Arafat. Elle pense que la proximité entre les bars et les écoles est l’une des principales causes de ce phénomène, ‘’et c’est regrettable’’ conclut-elle.
Les ‘‘clandos’’, l’abcès à crever
Dans le langage courant, on prête aux cabarets clandestins le nom de ‘‘clandos’’. Ils sont logés dans des maisons qui font office de bars et de points de vente. Arame Dièdhiou soutient qu’ils constituent ‘‘la plaie’’ dans le secteur. ‘‘Ils poussent comme des champignons. Des chefs de famille mènent ce commerce illégal dans leur maison. Nos enfants fréquentent les leurs, par conséquent, ils ont mille chances de succomber à la tentation’’. Et Nando de renchérir : ‘‘Les clandos sont gérés aussi bien par les musulmans que par les chrétiens’’, lâche-t-il.
Toutefois, aucun des tenanciers de ‘‘clandos’’ qui nous ont été indiqués n’a accepté une entrevue. Les personnes interrogées ont clairement montré leur opposition à la présence de ces bars clandestins. ‘‘Ce fort débit d’alcool à moindre coût favorise largement le banditisme. Les jeunes accros, pour étancher leur soif, n’hésitent pas à agresser les gens. Quelle activité peut prendre en charge tout le budget de leur consommation ?’’, s’interroge notre interlocuteur. ‘’L’agression !’’, répond-il sous le sceau de l’anonymat.
Bernard Minkilane est un habitant de Grand-Yoff. Il est accro à la boisson. ‘‘Zouy lay deff’’ (je me saoule) répond-t-il avec bonne humeur. ‘‘Je m’approvisionne dans les ‘’clandos’’, car ils sont moins chers, avec une différence de 200 F CFA. J’y vois beaucoup de jeunes qui ont 17 ans, parfois moins’’, renseigne-t-il.
Une féroce concurrence entre ‘‘clandos’’ et cabarets en règle
Dans la localité, une guerre latente se mène entre les vendeurs en règle et les clandestins. ‘‘Ils vendent plus que nous, leurs boissons sont moins chères, par conséquent, plus accessibles à la jeunesse. Ils ne payent pas de taxes, aussi’’, renseigne Nelson, vendeur d’alcool. Cette phrase revient en boucle chez tous les gérants de cabaret qui ont accepté de nous parler. Mame Paul, gérant d’un autre bar qui avoisine une école de 700 mètres carrés dans le quartier de Cité millionnaire, atteste qu’il détient une licence de vente. Contrairement aux clandestins qui ‘‘ne vendent pas de la qualité. Ils vendent plus du gin, du pastis et du whisky de mauvaise qualité’’, raconte-t-il avant de se pencher sur sa table de billard. Il indique que son cabaret n’est pas un lieu de fréquentation des jeunes, car ces derniers ne peuvent pas se payer son menu.
Certains sont prêts à mener le combat…
Titulaire d’un Master 2 en droit, Mamadou Lamine Ndiaye propose la fermeture de tous les cabarets n’ayant pas de licence. ‘‘J’ai étudié en droit que la licence n’est pas donnée de manière anodine. Si on ferme tous les bars qui n’ont pas la licence, ils vont diminuer et la consommation va baisser.’’ Le combat sera difficile, car les jeunes qui doivent le mener sont au cœur du problème, nous révèle un jeune homme.
Grand-Yoff est une commune qui a une population très dense. Parmi les nombreux problèmes qui l’assaillent, il y en a un qui prend le dessus sur tous les autres maux : la vente et la consommation non régulée de l’alcool. Tous s’accordent sur la nécessaire fermeture illico des cabarets clandestins pour donner un nouveau visage à Grand-Yoff.
Avec Enquete
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