Du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, dans un contexte de conquête territoriale en Afrique, les occidentaux se sont réunis à Berlin (Allemagne) dans le but de définir les règles qui doivent présider le partage du continent africain.
Au-delà des enjeux géopolitiques et économiques, l’on observe aussi leur projet d’importer la religion chrétienne dans les pays assujettis à leur domination. C’est la raison pour laquelle les soldats envoyés dans les colonies furent accompagnés par des abbés chargés d’évangéliser les populations de les civiliser en quelque sorte.
L’on remarque en revanche une large proportion de la religion musulmane dans certaines contrées colonisées comme le Sénégal. Ce pays fraîchement cité s’enracinait profondément dans la tradition musulmane. D’où la présence de certaines grandes figures musulmanes à l’image de Cheikh Ahmadou Bamba.
C’est dans cette perspective qu’au Sénégal (sous la domination française), l’administration coloniale avec la complicité insolite de certains chefs locaux « thiedo» ont mis à l’index et calomnié Cheikh Ahmadou Bamba, un saint homme d’une éminence incommensurable, animé par une crainte révérencielle de DIEU qui à travers ses enseignements s’était mis de travers leur chemin avec audace et détermination.
Si l’on fouille les vade-mecum coloniaux, l’on se rend compte que les rumeurs élaborées et orchestrées par certains chefs locaux, lui accusant de fomenter une guerre sainte, qu’il avait acheté des fusils et que ses disciples « talibés » faisaient des exercices militaires ne furent que des supercheries adroites. Du rapport de LECLERC, mandaté par l’administrateur colonial afin de vérifier ces chefs d’accusations calomnieuses portés sur la personne de Cheikh Ahmadou Bamba, jusqu’au compte-rendu de Merlin, directeur des affaires politiques au conseil privé du 05septembre 1895, tous ces dires diffamatoires ne furent que le fruit d’une conspiration montée de toute pièce.
Après ce déferlement de rumeurs abusives le conseil privé, fit paraître Cheikh Ahmadou Bamba dans un procès léonin ou il décida à l’unanimité de le condamner à l’exil au Gabon. En inspectant les archives historiques, l’on prend conscience que la déportation de SERIGNE TOUBA par les autorités coloniales n’était que la partie visible de l’iceberg.
Leur obsession ne fut rien d’autre que de vouloir freiner l’avancée considérable de la mouridiyyah et la propagation de l’enseignement islamique et culturelle du Cheikh dans le territoire colonial afin de mieux asseoir leur entreprise hégémonique comme il l’entendait. À titre illustratif l’on retient cet extrait du procès-verbal du conseil privé : « le conseil privé après avoir entendu la lecture des rapports de M.M Merlin et Leclerc et fait comparaitre Ahmadou Bamba a été d’avis, à l’unanimité, qu’il y avait lieu de l’interner au Gabon, jusqu’à ce que l’agitation causée par ses enseignements soit oubliée au Sénégal ».
En effet, en passant au peigne fin la vie mouvementée de SERIGNE TOUBA, l’on retiendra principalement la sérénité et le calme olympien et stoïque qu’il professa tout au long de son existence terrestre. De son arrestation le 10 août 1895 à Djéwol (actuelle Louga) jusqu’à son retour d’exil en 1902, il n’a jamais fait recours à la violence ni prêché ses disciples à s’insurger contre le gouvernement colonial.
Durant les 07 années qu’il séjourna au Gabon, il a été victime d’innombrables atrocités, une cruauté inhumaine dont aucun homme ordinaire ne pouvait assumer la charge et survivre. Nonobstant les multiples machinations et les tentatives de meurtre combinées contre sa personne, il ne s’est jamais détourné de son chemin, qui ne fut rien d’autre qu’obtenir le grade du serviteur du prophète (psl) par la voie du salut.
Si l’on fait une dissection par rapport à l’état d’esprit du Cheikh, l’on verra qu’il avait toujours une longueur d’avance face à eux, une quiétude d’âme tout au long de son internement à l’exil. Pour comprendre cela, il faut établir deux approches différentes par rapport à la déportation du Cheikh : une approche mystique, théologique et une approche temporelle tirée à partir des faits matériels (ce que l’on sait déjà).
Cependant c’est à travers cette approche spirituelle que l’on sera en mesure de saisir comment Cheikh Ahmadou Mbacké observait une longueur d’avance par rapport à ses calomniateurs colons. Ainsi l’histoire nous tuyaute que le Cheikh savait mieux que personne ce qui allait se passer, qu’il avait pris un engagement au pas de charge, qu’il honorera jusqu’à son retour dans le pays. Ainsi les épreuves accablantes qu’il a endurées furent une passoire sine qua non pour obtenir l’ultime grade de « Khadimu Rassul », serviteur du prophète (psl).
Par conséquent le premier vers de son dithyrambique poème «Assirou », en témoigne avec rigueur, il dit, je cite : « Je cheminais en vérité lors de ma marche vers l’Exil, en compagnie des gens vertueux alors que mes persécuteurs étaient persuadés que j’étais leur prisonnier… ».
Ces dires si révélateurs de la véritable mission du serviteur éternel du prophète recèlent une dimension transcendantale et théologique. Le syndrome de la haine aveugla l’esprit et le cœur de ses détracteurs au terme qu’ils ignorèrent la mission pacifique que renferment ses enseignements.
Ainsi proclama-t-il : « ils m’ont jeté sur la mer par refus de la volonté divine et par la haine, mais le généreux m’y a incontestablement comblé de sa grâce ».
L’on note à travers ces propos son niveau spirituel renforcé. L’aptitude du Cheikh à garder son sang-froid dépasse largement celle des mortels. Ainsi la lettre signée par George Virgile Poulet, adressée à l’administrateur Inspecteur des affaires indigènes au Gouverneur général de Saint-Louis, le 12juin 1903 à Louga, démontre avec perfection sa capacité de retenue.
Dans cette correspondance, il est écrit que : « […] D’après (les) renseignements recueillis (au) prés (des) indigènes venant de Mbacké (Darou Manane en fait). Amadou Bamba n’aurait ni intention (de) résister, ni celle de fuir ».
Par conséquent, la manière dont il a manifesté sa résistance face aux autorités coloniales est très originale. Il est incomparable à n’importe quelle résistance pacifique. Par les temps qui courent, l’on prend habitude à déclamer certains héros internationaux qui ont combattu pour le règne de la paix jusqu’à recevoir le prix Nobel de la paix (la plus haute distinction récompensant les acteurs de la paix), mais l’on oublie souvent que, poussé au dos du mur, l’on ne peut emprunter d’autres chemins que celui de la paix et du dialogue.
Elle est souvent un plan B pour certains. Si l’on apprécie le modèle de résistance du Cheikh, l’on s’apercevra que tout son enseignement à un ancrage pacifique. Toute sa vie peut être résumée à travers cette fameuse maxime : « l’on ne résout pas la violence par la violence, seule la paix est en mesure de couper le mal par sa racine ».
La preuve en est que dès son retour d’exil, il a surpris ses ennemis en proclama ce vers éloquent et larmoyant, digne d’un sauveur de la race humaine : « J’ai pardonné à tous mes ennemis pour l’amour de Dieu qui les a dirigé vers autre que moi, je ne riposte jamais ». Ce vers prononcé par Cheikhoul Khadim est en parfaite harmonie avec ce verset coranique : « C’est une belle application du principe du pardon et de l’endurance des torts ».
Sourate 16, verset 126. L’amour que le Cheikh vouait au tout puissant, submergea son cœur d’indulgence au point qu’il baigna à jamais dans l’ataraxie, affranchi de toute haine et de rancœur vis-à-vis d’une créature divine. Ce message pacifique qu’il a lancé à travers sa plume légendaire devrait être érigé en une devise chez chaque disciple mouride.
L’on doit se rappeler éternellement que c’est lui seul qui a endossé toute la responsabilité de ces supplices caniculaires au point de renoncer à ses privilèges mondains dont nous jouissons fréquemment. Aujourd’hui, dans cette ère de troisième millénaire, la réplique qui s’impose face aux contradicteurs de ses enseignements doctrinaux doit être essentiellement raisonnable, exclusivement intelligente et scientifiquement élaborée.
Il devient primordial de mettre de côté les réactions émotionnelles, impulsives sans issue pacifique et se procurer une allure rationnelle et sereine afin de mieux servir Serigne Touba de manière systématique et méthodique. Comme le disait Cheikh Abdoul Ahad Mbacké lors de l’un de ses prêches : « Celui qui a pardonné à ses ennemis, personne ne doit riposter à sa place, Serigne Touba n’est pas quelqu’un qu’on dispute pour lui ou qu’on combat pour lui, il convient uniquement de travailler à sa guise ».
La meilleure manière de combattre pour le compte de Cheikhul Khadim, est de « s’armer de science jusqu’aux dents » (pour emprunter le vocabulaire de Cheikh Anta diop), afin de faire face aux défis majeurs de notre époque. Ceci est le plus noble des combats. La preuve en est que lorsque l’on accusa le Cheikh de préparer une guerre sainte, il riposta ultérieurement avec sa plume de renom en affirmant : «
Mon combat se fait avec la science et la crainte révérencielle de Dieu, en qualité d’esclave et serviteur de son prophète (psl) ; en est témoin le seigneur qui régente toute chose ».
Cheikhoul Khadim Mbacké ibn Serigne Modou Abdoul Ahad
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