Sénégal : À Dakar, voici comment les « belles de nuit » ont vécu le coronavirus

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Depuis l’instauration de l’état d’urgence le 23 mars pour lutter contre la pandémie, les prostituées ont vu leur clientèle s’envoler et leur revenu fondre.

Deux petits téléphones à la main, Aïssatou* gère ses clients à distance. Elle a « acheté une puce au début de la crise du coronavirus, car on ne peut plus chercher les clients le soir dans la rue, ni dans les boîtes de nuit ou les bars, tous fermés ». Installée dans un immeuble d’un quartier populaire de Dakar, la jeune femme de 35 ans est assise sur un matelas posé à même le sol, recouvert d’un dessus-de-lit rose et rouge. Elle partage deux chambres louées au mois avec Esther*, Fatoumata* et Colette*. Toutes sont travailleuses du sexe, comme elle.
Depuis le début de la crise du Covid-19, Aïssatou paie 15 000 francs CFA (23 euros) chaque semaine pour que son numéro apparaisse sur des pages Facebook ou des sites en ligne dédiés. « Mais c’est dur, je suis passée d’une dizaine de clients par jour, à seulement deux ou trois », se plaint la professionnelle dont les revenus ont baissé au point qu’elle a désormais du mal à ramener de l’argent à la maison. Une situation d’autant plus délicate qu’elle a cinq enfants dont elle s’en occupe seule et qui ne savent rien de ses activités.
Alors, dans leurs petites chambres au deuxième étage, les quatre femmes s’entraident pour boucler les fins de mois. « On partage tout. C’est Aïssatou qui m’a donné ce client, parce qu’on doit toutes travailler », assure Colette en réajustant son boubou orange et bleu. Pour 3 000 francs CFA (4,50 euros), elle vient de passer dix minutes avec un jeune Sénégalais qu’on voit s’éclipser dans l’embrasure de la porte.
Plus aucun touriste
Au Sénégal, la prostitution n’est pas interdite. Seuls sont pénalisés les mineurs de 21 ans qui la pratiquent, le racolage et le proxénétisme. Dans la maison close où les Aïsattou et ses consœurs exercent, les habitués venaient en général après minuit. Désormais, ils sont contraints de passer entre 11 heures et 21 heures, un rythme imposé par le couvre-feu, étendu à 23 heures depuis le 5 juin.
Depuis la crise, les filles ne peuvent plus compter sur les clients étrangers, « qui paient mieux et vous offrent le transport, les boissons et les repas », se désole Fatoumata. Avec la fermeture des frontières aériennes, plus aucun touriste ne rentre dans le pays de 16 millions d’habitants.

Colette (le prénom a été changé), 38 ans, reçoit ses clients depuis 2009 dans cette petite chambre d’un quartier populaire de Dakar. Ici, en juin 2020. SADAK SOUICI
Au Sénégal, l’état d’urgence a été déclaré le 23 mars par le président de la République, Macky Sall. Le pays compte aujourd’hui plus de 6 200 cas et près de 100 morts. Le produit intérieur brut (PIB) du Sénégal devrait progresser de 1,1 % en 2020, contre 5,3 % en 2019, selon le Fonds monétaire international (FMI).
« Parce qu’elles vivent dans la précarité et la promiscuité, les travailleuses du sexe sont particulièrement exposées au coronavirus », souligne Lala Maty Sow, ancienne prostituée et présidente de l’association And Soppeku, qu’elle a co-fondé avec des collègues en 2009. « Toutes les activités sont à l’arrêt, mais nous avons créé un groupe WhatsApp pour apporter un soutien psychologique à nos 350 membres et transmettre les consignes sur les nouveaux gestes barrières », explique Mme Sow.
Masque et préservatif
Ces règles sont plus ou moins appliquées dans la maison close de Dakar. « Avant de rentrer dans notre chambre, je demande aux clients de se laver les mains », explique Fatoumata, en montrant la bassine verte installée à l’entrée du petit couloir qui mène aux deux pièces où les quatre femmes exercent. « Je leur donne aussi un masque qu’ils doivent garder pendant l’acte sexuel, même si les hommes résistent et disent qu’ils ne peuvent pas respirer », souffle la jeune femme, serrée dans sa courte jupe bleue moulante et son débardeur blanc.
Fatoumata sait, d’un battement de faux cils, amadouer les clients pour les contraindre à porter masque et préservatif. « Et le masque a du bon. Nous n’avons plus à accepter les fellations ou à s’embrasser sur la bouche », s’exclame la jeune femme de 35 ans dans un rire franc. Elle a commencé à se prostituer en 2011, après avoir été coiffeuse pendant des années. Depuis peu, elle sensibilise aussi ses collègues aux questions sanitaires.
Au-dessus du lit où elle reçoit les clients, Fatoumata affiche fièrement le diplôme reçu après une formation avec l’association And Soppeku. Un certificat qu’elle n’hésite pas à exhiber face aux policiers qui montent vérifier sa situation. La jeune femme est en règle, détentrice du carnet de santé obligatoire pour exercer légalement le travail du sexe au Sénégal.
Et c’est grâce à des personnes relais comme Fatoumata que l’association And Soppeku a pu distribuer 200 kits alimentaires et d’hygiène dans plusieurs villes du pays. « Beaucoup de femmes sont venues me voir parce qu’elles avaient des problèmes pour se nourrir, elles et leur famille », témoigne Lala Maty Sow.
« Le ministère de la santé a aussi donné des masques, du savon liquide et des affiches de sensibilisation, mais cela représentait seulement un tiers de ce que nous utilisions en une seule journée », ajoute la présidente, qui se réjouit de l’assouplissement des mesures de restriction, avec l’ouverture des transports interurbains et des restaurants.

source seneweb

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