LE PARISIEN WEEK-END. Si la brillante étudiante est sortie de son silence, invoquant le besoin de s’accorder un répit salutaire, rien ne laissait présager sa disparition. Reportage au Sénégal, dans les pas d’une jeune femme qui portait tous les espoirs de son pays.
Pour rejoindre la maison des Sow, située à Malicounda, un petit village à 85 kilomètres au sud de Dakar, il faut s’écarter de la route principale en travaux, encombrée par de vieilles Peugeot rouillées et rafistolées et par des charrettes surchargées tirées par des chevaux. Puis s’enfoncer dans les ruelles sablonneuses d’un quartier résidentiel endormi, et pousser un lourd portail en fer forgé, pour pénétrer dans le patio de cette bâtisse inachevée.
Là, au pied d’un citronnier, jouent insouciants, un gamin au t-shirt rouge trop grand et une petite fille aux nattes dressées sur la tête, la benjamine de la famille Sow. A l’intérieur de cette habitation au confort moderne, tout rappelle Diary, l’enfant chérie, l’élève brillante partie étudier à Paris, au prestigieux lycée Louis-Le-Grand. Comme, près d’un siècle auparavant, le poète Léopold Sédar Senghor, premier président de la République sénégalaise.
En plus de combler de joie sa mère, Bineta Sow, cette brillante élève, deuxième d’une fratrie de six, fait, depuis plusieurs années, la fierté de son pays tout entier. Comme en témoignent les deux grandes photos exposées au mur de l’entrée de part et d’autre d’un petit écran plat, où Diary pose aux côtés du président du Sénégal, Macky Sall.
Mais le 4 janvier dernier, le monde de la famille Sow s’est écroulé lorsque la jeune femme de 20 ans, en deuxième année de classe préparatoire de chimie, physique et ingénierie dans le Quartier Latin, s’est brusquement volatilisée. L’enquête, ouverte le 7 janvier par la police française pour disparition inquiétante de majeur, s’est rapidement orientée vers une fuite volontaire.
Aussi, ce dimanche 17 janvier, le malaise est palpable dans la maison familiale. Seul Arona, l’oncle maternel de Diary, accepte de nous parler. Le trentenaire au petit bouc dresse un portrait élogieux de sa nièce, avec qui il a été élevé. Pesant chacun de ses mots, il se refuse à commenter les circonstances de sa disparition et se borne à répéter que rien dans le comportement de Diary ne laissait imaginer « que quelque chose n’allait pas ».
Après avoir laissé ses proches inquiets sans nouvelles pendant plusieurs jours, la jeune femme, retirée dans un endroit qu’elle garde secret, est enfin sortie du silence. Dans des échanges non datés, publiés par son parrain et mentor Serigne Mbaye Thiam sur Twitter le 21 janvier, l’étudiante explique son geste. « Bonjour tonton. Je tiens à te préciser que je t’écris aussi librement que je suis partie, précise-t-elle d’emblée. Je suis consciente de l’audace, de la cruauté même de ma démarche. Je sais à quels tourments me livre ma décision, je pressens les conséquences qu’elle va engendrer, qu’elle engendre déjà […] », peut-on lire sur le compte Twitter de Serigne Mbaye Thiam, par ailleurs ministre de Macky Sall.
« Ma famille mérite de savoir, en attendant que je trouve en moi le courage et le force de reprendre contact avec elle », poursuit celle qui confie de ne pas avoir osé lui parler de son besoin « irrépressible » et « irraisonné » de s’accorder un « répit salutaire », « une pause pour retrouver ses esprits ». « Ceux qui cherchent une explication rationnelle à mon acte seront déçus […] Il ne s’agit ni de surmenage, ni de folie, ni de désir de liberté […]. Je n’ai pas disjoncté à cause du confinement ou de la prépa. Ma vie était telle que je l’avais voulu […] La pression n’a jamais été un frein pour moi. Au contraire […]. Mon départ n’est pas un aveu de faiblesse », écrit-elle encore. Avant de conclure : « Contrairement à ce que les gens semblent penser, aux paroles qu’on me prête, je ne renonce pas à ma vie d’avant ».
L’étudiante, que l’on dit ébranlée par le décès de son père, Mamadou, en avril dernier, a-t-elle eu besoin de prendre du recul ? Une chose est sûre, en quittant sa résidence universitaire du XIIIe arrondissement parisien le lundi 4 janvier, la jeune femme était loin, très loin d’imaginer l’emballement médiatique et diplomatique qui allait suivre. Chaque année en France, des milliers de personnes disparaissent des radars dans une grande indifférence, le plus souvent. La fugue de Diary aurait pu connaître le même sort si le parcours exemplaire de cette dernière ne l’avait pas très tôt poussée sous le feu des projecteurs.
La meilleure élève du Sénégal
C’est en 2018, le 6 août, que son destin bascule. Ce jour-là, Diary, 17 ans, lunettes violettes et chignon haut, est appelée sur scène pour recevoir des mains mêmes du président de la République le titre très convoité de « Meilleure élève de Première du Sénégal ». Les applaudissements fusent dans le Grand Théâtre de Dakar, la capitale du pays, où se déroule la cérémonie. L’année passée, la brillante lycéenne a déjà raflé celui de Miss Sciences, un autre concours national. Le trophée, un petit baobab en laiton, trône aujourd’hui encore dans le salon de la maison familiale, à côté d’un coran à la couverture marron et d’une pile de dictionnaires Larousse illustrés remportés en même temps que les prix d’excellence du lycée.
Mais cette fois, grâce à son 18,45/20 de moyenne générale, c’est l’ensemble du travail de Diary qui est récompensé. Vêtue de l’uniforme de gala de son lycée, tailleur-pantalon noir, chemisier blanc et foulard de satin rouge noué en cravate, la jeune fille issue d’une famille modeste peule, l’une des principales ethnies du pays, gravit calmement les marches de la scène sans penser à la notoriété que lui confère son nouveau statut. Respectueusement, elle salue un à un les différents ministres en présence avant de se présenter avec le plus grand calme devant le président pour échanger une poignée de main solennelle alors que s’élève dans la salle le son des trompettes.
Dans l’assemblée, son ancienne professeure de français et premier mentor, Coumba Diouf Sagna, est émue aux larmes. Diary, elle, n’esquisse pas même un sourire. Elle n’est pas du genre à fanfaronner, ni à laisser transparaître ses émotions. Même ses proches ont le plus grand mal à déchiffrer cette passionnée de littérature et d’algèbre, confie sa professeure, considérée comme « sa deuxième maman ».
L’enseignante, qui a eu la jeune élève dans sa classe de la 5e à la 3e, l’a tout de suite su, Diary n’est pas une fille comme les autres. « C’est un cheveu sur le lait, comme on dit ici », souligne en souriant Coumba Diouf Sagna, enveloppée dans son hijab rouge et noir orné de marguerites. Elle n’a pas été surprise de voir, l’année suivante, sa protégée obtenir son bac scientifique avec la mention très bien avant de remporter une nouvelle fois le titre de « Meilleure élève du Sénégal ».
Une jeunesse studieuse et sans histoires
Enfant déjà, Diary se nourrit de lecture. La bibliothèque de sa chambre déborde de romans et d’essais, empilés les uns sur les autres. « Je ne l’ai jamais vue sans un livre à la main », confirme Coumba Diouf Sagna à qui Diary a offert son exemplaire des « Rêves de mon père », de Barack Obama.
A Malicounda, où vivent les Sow depuis 2012, on évoque une fille discrète, qui sort rarement et toujours accompagnée d’un membre de sa famille. « On la connaît peu, mais c’est une fille sérieuse et sans histoire », explique Mustapha, qui tient une petite épicerie aux étals soigneusement rangés grimpant jusqu’au plafond. Derrière les grilles blanches de son comptoir, il voit défiler tous les habitants du quartier, et comme beaucoup au village, il tient à protéger la réputation de la famille Sow.
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