Un mois après les émeutes qui ont fait treize morts, l’État sénégalais annonce la création d’une commission d’enquête. Mais face à un gouvernement qui rejette déjà la responsabilité sur Ousmane Sonko, l’opposition reste sceptique.
Quatre semaines après les émeutes ayant coûté la vie à treize personnes et plongé le Sénégal – d’ordinaire qualifié d’îlot de stabilité – dans dix jours de chaos, le gouvernement a annoncé jeudi, lors d’une conférence de presse, la mise en place d’une commission d’enquête « indépendante et impartiale pour rétablir toute la vérité dans une dynamique de paix et d’apaisement ». Si aucune échéance n’a, pour l’heure, été communiquée, cette commission aura pour mission de déterminer la présence de « forces occultes » lors des manifestations et de faire la lumière sur la mort des treize manifestants.
« Pas de leçons à recevoir »
Au cours de ces jours de violence, nombreux ont été les éléments prompts à choquer l’opinion publique sénégalaise et internationale. La présence d’hommes armés en civil aux côtés des forces de l’ordre, la coupure partielle des réseaux sociaux et l’interruption du signal de deux chaînes de télévision privées qui avaient relayé des images de violences policières ont été perçues comme autant de signes menaçant la démocratie.
Alors que de nombreuses ONG et organisations internationales ont exprimé leur préoccupation au début du mois de mars, le ministre des Forces armées a martelé pendant la conférence de presse que « l’État du Sénégal n’a pas de leçons à recevoir en matière de respect des droits de l’homme ».
Il a aussi répondu au Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D), qui avait annoncé son souhait de saisir la Cour pénale internationale : « Avons-nous vu des faits si graves qu’ils auraient pu être apparentés à ces crimes qui froissent la conscience de l’humanité (…) et qui peuvent avoir des conséquences graves sur la paix et la sécurité nationale ? Rien de tel n’a eu lieu au Sénégal »
Le gouvernement a ensuite publié un mémorandum de 24 pages sur les événements, que Jeune Afrique s’est procuré, dans lequel il défend bec et ongles sa gestion de la crise : « L’État du Sénégal, de par la solidité de ses institutions, a fait montre d’une attitude exemplaire. En effet, à aucun moment instruction n’a été donnée de tirer sur les manifestants malgré les violences exercées sur les forces de l’ordre présentes sur le terrain et dans les casernes ».
Sonko, « un coupable tout trouvé » ?
Ce document désigne nommément le député Ousmane Sonko comme l’initiateur et le responsable des troubles ayant secoué le pays. Il accuse l’opposant, soupçonné de viol, de s’être « retranché derrière son immunité parlementaire » pour échapper à la justice. Le leader du Pastef, qui a été arrêté le 3 mars alors qu’il se rendait à une convocation chez le juge d’instruction, aurait « orchestré tout un stratagème » pour « lancer un appel à une résistance populaire devant empêcher sa comparution ».
Le gouvernement défend également son impartialité, affirmant être resté « lucide et responsable pour laisser la justice faire son travail » alors qu’Ousmane Sonko aurait « transformé une affaire de viol en un sordide complot politique par ses sorties médiatiques ».
QUELLE PERTINENCE DE METTRE EN PLACE UNE COMMISSION D’ENQUÊTE DÈS LORS QUE L’INITIATEUR A DÉJÀ ÉTÉ “JUGÉ” ET “CONDAMNÉ”
Pour Bassirou Diomaye Faye, président du Mouvement national des cadres patriotes (Pastef), conférence et mémorandum ne sont qu’un « exercice de blanchissement du pouvoir ». « Ils essaient d’accuser Ousmane Sonko en le faisant passer pour le seul responsable des événements, déplore-t-il. Le gouvernement fait de la désinformation en affirmant qu’il a refusé de déférer à sa convocation. Les caméras du monde entier ont vu qu’il allait s’y rendre. Ce mémorandum est basé sur un mensonge. »
Dans un communiqué daté du 8 avril, le M2D fait part de son scepticisme quant à l’indépendance de la commission d’enquête. « Dans son mémorandum, le gouvernement a conclu son long réquisitoire par la désignation d’un coupable tout trouvé : Ousmane Sonko. Quelle pertinence de mettre en place une commission d’enquête dès lors que l’initiateur (…) a déjà été “jugé” et “condamné” ? » s’interroge le mouvement issu de la société civile.
Des doutes partagés par Bassirou Diomaye Faye : « Le gouvernement va-t-il assumer les conséquences dramatiques des manifestations ? Nous avons des raisons d’en douter, et pensons qu’une telle commission ne peut être mise en place sans termes de références établis auparavant ».
« Quand on laisse la justice faire son travail, on laisse les citoyens se rendre aux convocations devant le juge, on ne gaze pas les journalistes, on ne tue pas les manifestants, poursuit-il. Si le gouvernement n’avait pas cueilli Ousmane Sonko d’une manière arbitraire et dictatoriale alors qu’il se rendait à sa convocation, il n’y aurait jamais eu d’émeutes ».
Contacté par Jeune Afrique, le porte-parole du gouvernement n’a pas souhaité faire de plus amples commentaires.
Jeune Afrique
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