Sergent Malamine Camara : Sur les traces du sous-officier sénégalais qui permit à la France de garder le Congo

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À l’heure où les patriotes africains dissertent sur la nécessité ou non de faire disparaître les symboles de la colonisation, notamment les rues, écoles ou autres édifices publics qui portent les noms des représentants de la puissance occupante, il apparaît que certains des vaillants fils de l’Afrique ont participé héroïquement à l’histoire que beaucoup veulent effacer.

Leur participation ne signifie pas qu’ils adhéraient totalement à la philosophie qui fondait la volonté hégémonique de l’Europe sur les terres d’Afrique, non. Ils avaient seulement fait leur travail avec conscience et beaucoup de détermination, en se donnant avec abnégation sans se soucier des questions morales qui nous préoccupent aujourd’hui.

Selon Le Témoin, le sergent Malamine Camara, sous-officier de l’armée française, qui a servi pendant plus de 15 ans avec une bravoure exceptionnelle le drapeau, sous lequel il s’était engagé volontairement, est de ceux-là.

Malamine Camara, d’origine soninké, est né vers 1850. Il a été recruté à l’âge de 20 ans, en 1870, comme laptot c’est-à-dire un marin subalterne mais il finira par devenir un soldat d’infanterie qui a joué un grand rôle dans la conquête française du Congo. De simple laptot lors de son engagement dans la marine, il gravira rapidement les échelons grâce à son sens de la discipline. Il est présenté comme l’un des premiers noirs sous-officiers de l’infanterie française et, plus tard, avec le grade de sergent, il rejoindra l’expédition de l’explorateur Savorgnan de Brazza qui avait pour mission de conquérir le Congo.

De la côte du Gabon, le groupe qui comprend une douzaine de soldats indigènes, quelques interprètes et quatre Français devait remonter le fleuve Congo et occuper le territoire en y plantant et en défendant le drapeau de la France. La bataille faisait alors rage entre l’Angleterre et la France pour occuper le maximum de territoires en Afrique et le sergent Malamine, qu’il l’eût voulu ou non, était au cœur de cette funeste compétition.

Sur le terrain, ses qualités de soldat, de chef de troupe et de… diplomate apparaissent au grand jour. Quasiment adjoint de l’explorateur Savorgnan de Brazza, il conquiert plusieurs terroirs congolais et s’implante avec ses hommes dans le gros village de M’fa, qui deviendra plus tard la ville de Brazzaville. Il avait une telle capacité à s’adapter qu’il apprend rapidement la langue locale et se lie d’amitié avec les chefs et rois traditionnels des localités environnantes.

En octobre 1880, Brazza, rappelé en métropole pour y recevoir de nouveaux ordres, le laisse sur place au poste de M’fa avec sous son commandement deux soldats seulement. Il y restera pendant 18 mois sans aucune aide matérielle ni instructions spéciales des autorités françaises avec pour seule mission de tenir le poste et protéger le territoire conquis.

Livré à lui-même durant cette période, et en dépit des faibles moyens dont il dispose, le sergent Malamine s’organise pour subsister. Il réussit surtout à établir avec les autochtones des relations amicales et à gagner leur confiance. Il utilise ses talents de chasseur pour alimenter les villages voisins en viande d’hippopotame, de phacochère et même d’éléphant, au point d’être surnommé par les villageois mayele («le débrouillard») et tâta nyama, («père de la viande»).

C’est là que surviendra un événement qui le fera entrer dans l’histoire de la France. En face de M’fa (aujourd’hui Brazzaville), se trouvait un autre explorateur – en fait un mercenaire avant l’heure – un Américain qui travaillait pour le compte du roi des Belges Léopold II et qui avait pris possession de la rive gauche du fleuve Congo, l’actuelle métropole de Kinshasa. Cet homme s’appelait Henry Morton Stanley. Hégémoniste, il souhaitait aussi conquérir la rive droite contrôlée par la France et protégée seulement par le sergent Malamine et ses deux soldats.

Le sergent Malamine comprend très vite les desseins de Stanley et tente une première fois de l’en dissuader en se rendant sur la rive gauche. Il maîtrise parfaitement la langue française et il est doté d’un esprit militaire assez aigu. Et, au poste de M’fa, il incarne la présence militaire française en tant que sous-officier noir. Il est donc bien placé pour faire face au mercenaire Stanley qu’il rencontrera deux fois.

Lors de leur première rencontre, lorsque le sergent Malamine traverse le fleuve, il montre à Stanley une copie du traité passé en septembre 1880 par Brazza avec le roi Makoko, chef traditionnel des Batékés, qui plaçait son territoire sous l’autorité de la République Française.

La seconde rencontre, en janvier 1882, est plus sérieuse. Stanley apparait sur le fleuve à la tête d’une flottille de trois bateaux à vapeur à bord desquels se tiennent de nombreux mercenaires armés venus de Zanzibar. Cette démonstration de force avait sans doute pour but d’impressionner Malamine et ses hommes afin de les pousser à abandonner leur poste. Contre toute attente, la détermination du sous-officier est telle que Stanley et ses hommes n’insistent pas et retournent sur la rive droite.

Dans ses mémoires, Stanley écrit qu’il avait été «impressionné par l’attitude du sergent sénégalais qui, outre une grande fermeté dans le respect de sa mission, faisait preuve d’une forte autorité sur les indigènes » qui vivaient sur le territoire qui était sous son contrôle.

Le recul du mercenaire américain peut aussi s’expliquer par le soutien dont bénéficiait le sergent Malamine de la part du roi Makoko. Ce dernier s’est opposé à l’éviction de la France à cause des avantages commerciaux non négligeables dont il profitait depuis 1880, sans même évoquer les méthodes de Stanley très éloignées par leur brutalité de celles de Brazza.

En mai 1882, un message du commandement militaire ordonne à Malamine de quitter M’fa avec ses hommes pour s’établir à Franceville au Gabon. Bien qu’il soupçonne que cet ordre puisse être le résultat d’intrigues confuses, il obtempère mais tient avant son départ à visiter les chefs locaux pour les convaincre que son absence, temporaire, ne devait en aucun cas affaiblir leur loyauté à la France.

Son chef, Savorgnan de Brazza, qui était retourné en France pour faire connaître ses découvertes mais surtout recevoir de l’aide du gouvernement, monte une nouvelle expédition dans le bassin du Congo en 1883. Il charge Malamine de recruter à Dakar les membres de la mission puis, lorsque cette dernière est arrivée sur la côte gabonaise, il est chargé d’acquérir les pirogues qui permettront la remontée du fleuve.

Arrivé sur le Pool, Brazza constate la joie des populations locales à voir revenir Malamine mais surtout la réalité du maintien de la présence française, les chefs locaux n’ayant pas succombé à l’influence des hommes de Stanley. Une fois encore, le sergent apparait rapidement indispensable dans la direction du poste mais plus encore par les quantités importantes de gibier qu’il fournit régulièrement aux populations.

En février 1885, lors d’une prise d’armes à Brazzaville, le sergent Malamine reçoit la médaille militaire sur la recommandation de son chef Savorgnan de Brazza qui voulait ainsi saluer son travail de militaire et son rôle important dans la conquête du Congo.

Mais, il ne survivra pas très longtemps à cette distinction. Sa santé s’était détériorée et il est rapatrié au Sénégal. En janvier 1886, il rend l’âme à l’hôpital militaire de Gorée.

Bien que sa contribution à l’établissement de la France au Congo n’ait été que très peu relevée de son vivant, le sergent Malamine fut après sa mort célébré par les autorités, comme le montre le nom du bateau à vapeur qui permit en 1892 à Antoine Mizon de remonter le Niger. Plus encore, il est à noter que les hommages récents se sont multipliés, d’abord au Congo mais aussi au Sénégal où une rue et un lycée ont été baptisés en son honneur.

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