[Exclusif] Libéré après près de cinq ans de prison pour terrorisme : Les grandes confessions de Saliou Ndiaye

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Condamné le 19 juillet 2018 à 5 ans de travaux forcés pour actes de terrorisme par association de malfaiteurs, Saliou Ndiaye a recouvré la liberté plus tôt que prévu. Il a bénéficié d’une liberté conditionnelle en mars 2020 alors qu’il était à 3 mois de sa sortie de prison. Il ne s’en glorifie guère.

L’ancien prisonnier qui a accepté de se confier exclusivement à Dakaractu trouve que c’est la suite logique des choses. « Il ne pouvait en être autrement car ils se sont rendus compte que nous n’avons rien fait de ce qu’ils nous reprochaient », justifie « Baye Zale ».

« Pour obtenir une liberté conditionnelle, le comportement du détenu est très important. Sur cet aspect, j’ai été irréprochable. Il m’arrivait de rappeler aux gardes que le temps qui m’était imparti pour la promenade était écoulé alors que je pouvais encore en profiter », ajoute-t-il.

Depuis son élargissement de prison, Saliou Ndiaye est retourné à Kaolack. Pour cet homme qui a perdu 4 années et 7 mois de sa vie, c’est une renaissance.
C’est le 27 octobre 2017 qu’il a été perturbé dans son intimité, à Dakar. Des éléments de la Division des investigations criminelles débarquent, armés jusqu’aux dents pour l’arrêter. Une arrestation musclée inoubliable pour Saliou Ndiaye. « C’est à 4 heures du matin qu’ils ont frappé à la porte de ma chambre. J’ai aussitôt ouvert. Ils ont mis la pièce sens dessus dessous à la recherche de je ne sais quoi », se remémore-t-il.

Aussitôt son arrestation actée, les policiers l’embarquent pour le commissariat central. Ensuite, une perquisition est organisée au lieu de travail du mis en cause. « Ils ont trouvé un vigile qu’ils ont interrogé sur mes supposés liens avec le terrorisme mais ce dernier leur a rétorqué qu’il ne me connaissait pas de pareilles activités. Ils sont ainsi rentrés bredouille », se souvient Saliou Ndiaye qui affiche son étonnement quant au procédé. « Je savais que j’étais sous surveillance parce que c’était devenu évident. Ceux qui me suivaient ne prenaient même plus la précaution de se cacher. Je savais même qu’ils avaient pris une chambre en location dans la même maison et venaient dans ma boutique mais je m’attendais tout au plus à une convocation », déplore-t-il.

« Je savais que j’étais sous surveillance parce que c’était devenu évident, mais je ne m’attendais pas à… »

« Traité convenablement » à la Division des Investigations criminelles, ses conditions de garde à vue vont se détériorer à la Section de recherche de la Gendarmerie où il est transféré au deuxième jour. Chez les gendarmes où il dit avoir trouvé son mentor Imam Aliou Ndao, appréhendé dans la même affaire de terrorisme, il se plaint d’un accès difficile aux toilettes et d’être même privé de faire ses ablutions. « On y est resté pendant 8 jours avec des retours de parquet interminable », livre Saliou Ndiaye.

Avec Imam Alioune Ndao, ils seront finalement placés sous mandat de dépôt le 6 novembre par le défunt Doyen des juges d’instruction, Samba Sall. « C’est Imam qui est passé le premier et s’est entendu dire par le Doyen des juges qu’il devait être placé sous mandat de dépôt sur demande du procureur. J’ai connu le même sort », allègue-t-il.

À la maison d’arrêt de Rebeuss où il a été envoyé, Saliou Ndiaye se rappelle avoir été logé à la chambre 13. « Mais quand ils ont vu que Imam Ndao était bien apprécié de certains détenus, ils ont décidé de le transférer à Saint-Louis. Nous avec », informe l’ancien pensionnaire de 100 m2. « À Saint-Louis, ils nous ont isolé au quartier des femmes où ils ont aménagé un espace pour l’occasion. On y était cinq dont un nigérian qui avait presque perdu toutes ses facultés mentales », raconte l’ex détenu. « Au bout de six mois, ils ne pouvaient plus nous garder sans motif. C’est ainsi qu’ils ont encore organisé notre transfèrement à Dakar avec de nouvelles charges liées au terrorisme.

Saliou Ndiaye était poursuivi pour actes de terrorisme par association de malfaiteurs, apologie du terrorisme au même titre que Imam Alioune Ndao dans un dossier qui concernait une trentaine de personnes dont une dizaine de jeunes en provenance des bastions du groupe terroriste Boko Haram, au Nigeria.
« Baye Zale » lui, n’a pas quitté le Sénégal. Mais il a tenté en 2012 d’aller en Afghanistan en proie à une insurrection des Taliban, enlevés du pouvoir par les américains après les attentats du 11 septembre 2001.

Ce projet de voyage, il l’explique aujourd’hui « par un besoin de découvrir la pratique de l’Islam d’un pays dont j’entendais tout et n’importe quoi ». « J’ai fait la connaissance d’un homme qui a promis de m’aider à faire ce voyage. Quand j’en ai parlé à Imam Ndao, il m’a dissuadé de partir compte tenu du contexte », avoue-t-il en contestant tout lien entre ses bisbilles avec la justice et ce départ avorté. « C’est comme lorsqu’ils veulent évoquer mon souhait de partir en Syrie alors que cela remonte à 2013 », déconstruit-il.

Pour la petite histoire, Saliou Ndiaye a également fait des pieds et des mains pour répondre à la « Fatwa de la Ligue arabe appelant les musulmans à la rescousse de leurs frères de la Syrie massacrés par le tyran Bachar el Assad ».

« J’ai rencontré Omar Omsen au Sénégal »

Pour cet autre voyage, il comptait sur un homme qui n’est pas méconnu des services de renseignements de plusieurs pays. Omar Diaby dit Omsen était à cet instant au Sénégal qui était en réalité une zone de transit pour le djihadiste franco-sénégalais en partance pour la Syrie. Saliou rencontre Diaby qui lui demande juste un visa. Cette tentative ratée a été l’une des armes du parquet contre le candidat à l’ « hégire ». « Ils voulaient juste un prétexte pour justifier des financements qu’ils ont reçus dans la lutte contre le terrorisme. Lorsqu’ils m’arrêtaient, j’avais déjà tourné la page pour beaucoup de raisons. Déjà je n’avais pas obtenu le visa, mais avec Omar Omsen il y avait un malentendu religieux. Je lui ai réclamé mon passeport et il me l’a restitué par l’intermédiaire d’une de ses connaissances », révèle « Baye Zale ».

En Syrie, Omar Omsen est à la tête de « Firqatul Ghuraba » (Brigade des étrangers). Un temps, il était proche du front al Nosra qui était la branche locale d’Al Qaïda avant de prendre ses distances. « C’est bien après que j’ai appris qu’il était dans toutes ces histoires », cherche à se disculper Saliou Ndiaye, qui visiblement, ne cautionne pas les agissements de Omsen.
Le djihadiste franco-sénégalais est actuellement dans les geôles du groupe rebelle Hayat Tahrir al Sham qui lui reprocherait ses envies d’indépendance. Son fils Bilal l’a rejoint dans ces cachots.

Confier le pays aux prisonniers

Au Sénégal, son ancienne « recrue » tente de reprendre le cours normal de sa vie quand bien même il lui serait difficile d’oublier les « brimades » subies en prison. Mais de tout son périple qui lui a permis de visiter quatre maisons d’arrêt et de correction et le pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec, il retient « l’incroyable capacité d’organisation dont les locataires de la chambre 13 de Rebeuss font montre ». « On était deux cents dans cette chambre mais c’était organisée de sorte qu’on n’entendait même pas une mouche voler quand arrivait l’heure d’écouter le journal à la radio. C’était la même chose avec la prière. Ceux qui ne priaient pas passaient au-dessus et laissaient la place aux pratiquants. Les toilettes étaient entretenues de manière à les rendre le moins insalubres possible », fait-il constater, encore stupéfait. Il en est arrivé à la conclusion qu’ « on peut confier un pays aux prisonniers ».

Si Saliou Ndiaye s’est retrouvé dans le collimateur des services de l’antiterrorisme, c’est d’une part à cause de sa proximité avec Imam Ndao. Prêcheur très influent à Kaolack, Imam Alioune Ndao était soupçonné d’être le patriarche d’un groupe de jeunes accusé d’avoir l’intention d’implanter une cellule de Boko Haram au Sénégal et dont le plus connu, Makhtar Diokhané purge une peine de 20 ans de réclusion criminelle.
En première instance, la chambre criminelle siégeant en formation spéciale au tribunal de grande instance de Dakar a blanchi le religieux des faits de terrorisme. Il a été condamné à un mois de sursis pour détention d’arme sans autorisation administrative. « Ma relation avec Imam Ndao est le fruit du destin », accepte-t-il.

Imam Ndao, le maître

Né en 1984 à Saré Ndiougary, à Kaolack, Saliou Ndiaye a échoué son entrée en sixième après le décès de son père. Il embrasse le métier de ce dernier qui était boulanger. À 16-18 ans, sa famille déménage à Ndorong où il va faire la connaissance d’un homme qui va changer à jamais son destin. « Quand on a déménagé, j’ai pris de longues distances pour sacrifier à la prière du vendredi. C’est bien après que j’ai appris qu’il y avait une mosquée à côté. J’ai commencé à y prier les vendredis. Mais je réalisais que les prêches de l’Imam me touchaient au plus profond de moi et j’étais en phase avec tout ce qu’il véhiculait comme message. Il est vrai que j’étais jeune à l’époque et que ma connaissance en Islam était limitée mais c’est comme s’il s’adressait à moi à chacun de ses mots », rembobine-t-il, plus attaché que jamais à celui qu’il n’est pas loin d’idolâtrer.

« Ses actes traduisent tout ce qu’il disait dans ses sermons. Seules les personnes véridiques peuvent montrer un tel degré de sincérité. En plus il est humble et fidèle en amitié », se laisse-t-il aller en compliments à l’endroit de son maître auprès de qui il est retourné après sa sortie de prison. « Mon séjour carcéral a déteint négativement sur mes activités de vendeur de pièces détachées. En plus, la zone où je tenais le magasin fait partie de l’emprise du BRT. C’était là une occasion pour moi de mettre à exécution mon souhait de retourner à Kaolack auprès de ma famille et de l’Imam Ndao », se réjouit presque l’ancien prisonnier qui affirme avoir débarqué à Dakar en 2005. À Kaolack, il tient une quincaillerie en plus de mener une autre activité de maraîchage avec « un ami ».

La prison a altéré ses activités professionnelles mais ses convictions religieuses restent intactes. Saliou Ndiaye se réclame encore de la mouvance qui milite pour l’application de la charia au Sénégal. « Je ne regrette rien. J’ai choisi une voie différente de ce qui semble être la norme et je suis pour un régime islamique au Sénégal. Ça ne signifie pas que je suis quelqu’un d’irréprochable, mais personne ne peut me reprocher de vouloir l’être », se cramponne-t-il à ses croyances.

Dans la même veine, Saliou Ndiaye prend le contrepied des occidentaux dans leur définition du terrorisme. Pour ce sunnite convaincu, « les terroristes, ce sont les États-Unis, la France qui interviennent dans des pays où ils ne sont pas appelés à le faire ». « Le terroriste qu’on connaît, c’est celui qui est venu au Sénégal avant les indépendances et qui a changé le système qu’il a trouvé sur place, qui a incendié des universités au nom de la civilisation », accable Saliou Ndiaye.

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