La prostitution est un sujet clivant, sur lequel les positions sont souvent tranchées, mais on a rarement de témoignages directs de prostituée.
La prostitution est rarement racontée par celles et ceux qui la pratiquent et y recourent. Pourquoi fait-on le choix d’une telle activité ? Qui sont les clients d’une prostituée ? À quoi ressemble le quotidien d’une prostituée ? Dans les colonnes de L’Obs, des filles de joies font des témoignages flippants et sans réserve.
« La nuit où mon client m’a mordue jusqu’au sang… »
Une clope de cigarette coincée entre les doigts, Gnilane Faye, habillée d’une mini-jupe qui lui couvre à peine les parties intimes, raconte l’histoire qu’elle a vécue à Richard-Toll. « Ma mésaventure de Richard Toll est très connue dans notre milieu. Elle remonte à 2020. Un client m’y avait invitée pour un weekend, moyennant une forte somme d’argent. Il m’avait hébergée chez lui. Puisqu’il faisait partie de mes clients les plus fidèles et sérieux, j’ai accepté sa proposition sans arrière-pensée. D’habitude, je recevais mes partenaires chez moi ou dans les chambres d’hôtel, mais cette fois-ci, j’ai décidé de faire le voyage jusqu’à Richard Toll dans la mesure où ce client m’inspirait totalement confiance. »
Après avoir passé un week-end torride avec son client, ce dernier, certainement resté sur sa faim, va la séquestrer chez lui. « Au début, je croyais à une mauvaise blague. Il ne voulait plus me laisser partir alors que j’avais prévu d’assister ma fille qui devrait se présenter au Bfem le lundi. Il a fermé l’appartement à clé. Pis, il a confisqué mon téléphone portable, me coupant du reste du monde. J’étais à sa merci, traitée comme une esclave sexuelle devant uniquement assouvir ses désirs. Ne pouvant lui opposer une résistance, j’ai joué la carte de la patience tout en guettant la moindre opportunité pour prendre la fuite. J’ai attendu qu’il sorte pour passer par la fenêtre. J’ai finalement sauté d’un premier étage pour me retrouver dehors. J’en suis sortie avec une blessure au pied droit et des égratignures sur tout le corps, car j’ai chuté lourdement de tout mon poids. Affolé, le gars m’a retrouvée sur la route du commissariat pour me remettre mes affaires et l’intégralité de la somme qu’il me devait. J’ai renoncé à porter plainte contre lui parce que je ne voulais pas que ma famille sache que je suis une professionnelle du sexe… ».
Saly Diop raconte : « Effectivement, notre métier est très risqué. Nous croisons souvent toutes sortes de clients. Certains peuvent nous couvrir de cadeaux, mais les autres aussi n’hésitent pas à nous faire vivre de sales quarts d’heure. Nous sommes exposées à la violence sous toutes ses formes, au quotidien… »
La partie de jambe en l’air avec le non-voyant et la sueur pour le féticheur
A.F. est une professionnelle du sexe qui a accumulé une expérience d’une dizaine d’années. Divorcée et mère de trois enfants, elle squatte les milieux interlopes de Louga et de Saint-Louis. Elle raconte sa mésaventure.
« Durant la campagne électorale de 2019, un responsable d’une auberge sise à Grand-Yoff m’avait mise en rapport avec un responsable politique. Ce dernier prétextait qu’il ne pouvait pas se déplacer à l’intérieur du pays où se trouvait sa femme, c’est pourquoi il voulait passer du bon temps avec moi. Il s’était engagé à me donner une forte somme d’argent pour une passe seulement. »
Elle ajoute : « Dès qu’il a raccroché, je me suis précipitée pour déférer à l’invitation parce que je ne voulais rater pour rien au monde cette offre alléchante. A ma grande surprise, lorsque je suis entrée dans la chambre qui m’a été indiquée par le vigile, j’y ai trouvé deux hommes. Je pensais que je m’étais trompée de chambre, mais subitement l’un d’eux m’a prise par la main. »
Elle poursuit : « Je me débattais pour me libérer, mais il m’a retenue avec force, tout en me suppliant de rester car ils avaient quelque chose d’important à me dire. J’ai pris mon courage à deux mains pour les écouter. Ils m’ont révélé qu’ils voulaient que j’entretienne une relation sexuelle avec un non-voyant. Ils m’ont clairement dit qu’ils avaient juste besoin de la sueur de leur cible. Un féticheur leur avait demandé ce liquide. Par peur de représailles, dans la mesure où je n’avais pas avisé mes amies avec qui je partageais le même appartement, j’ai accepté. Je n’étais pas au bout de mes peines. »
« Après avoir couché avec le non-voyant, les deux hommes se sont relayés sur moi. J’ai compris qu’ils s’adonnaient à des pratiques mystiques. La preuve : une semaine après les faits, j’ai contracté une maladie bizarre. Mon ventre me faisait terriblement souffrir tous les jours. J’étais en proie à de terribles crampes et je vomissais sans cesse », a-t-elle souligné.
Avant de poursuivre : « Une de mes amies m’a mise en rapport avec son grand-père, guérisseur vivant dans la région de Thiès. Celui-ci m’a révélé que mes bourreaux avaient effectué des sacrifices sur ma personne. Il m’a prodigué des bains rituels et recommandé des aumônes à faire. J’ai été guérie au bout de quelques mois. Pour vous dire que nous évoluons dans un milieu très complexe et risqué. »
« Mon client m’a réclamé du liquide vaginal »
Elle raconte également l’exemple d’une de ses amies avec qui elle partageait la même chambre à Thiès : « Mon amie K… était très connue à Thiès. Les touristes couraient derrière elle. D’ailleurs, elle a épousé un Toubab. Une nuit, alors qu’elle prenait du thé avec moi, un de ses clients l’a invitée dans une auberge. Ne se doutant de rien, elle s’est présentée au rendez-vous. Quelques heures plus tard, elle est rentrée à la maison, le bras ensanglanté. Quand, je lui ai posé la question, elle m’a répondu que son partenaire l’avait mordue alors qu’il jouissait. Il l’a mordue jusqu’au sang. C’était d’une telle violence qu’elle a été évacuée à l’hôpital régional de Thiès. »
« Nous pensions que ce dernier était un anthropophage, mais le médecin nous a expliqué que certains hommes mordent leur partenaire lors de l’acte ou leur donnent des coups de poings quand ils jouissent. »
Souadou : « un client voulait la serviette intime que j’avais utilisée »
Lui coupant la parole, sa collègue Souadou enchaîne et raconte ses démêlés avec un client. Elle témoigne : « Un partenaire avait fait appel à moi pour une partie de plaisir. Nous étions tombés d’accord sur la somme de 10 mille francs. Quand nous avons fini, il voulait récupérer la serviette intime que j’avais utilisée. Je lui ai opposé un refus catégorique. Sachant que je n’étais pas prête à accéder à sa demande, il m’a finalement révélé qu’il avait besoin du liquide vaginal pour mieux ferrer sa femme qui voulait l’abandonner au profit de son premier mari. Il a quadruplé le prix de la passe pour me convaincre d’accepter sa proposition. Je l’ai pris en pitié et lui ai donné. Je ne sais pas s’il a gardé sa femme ou non, mais moi cette nuit-là il m’avait comblé de cadeau ».
« Mon client allemand sentait la charogne »
B.F.D, une autre travailleuse du sexe, est aussi victime de violence. Sans gêne, elle déclare qu’elle n’est pas prête à oublier sa mésaventure avec un marin allemand qu’elle avait reçu dans son appartement sis à Sacré cœur.
« C’est un militaire sénégalais qui m’avait mise en rapport avec ce partenaire d’un genre assez particulier. Non seulement, il puait l’alcool, mais il avait aussi une haleine qui puait la mort. Il sentait tellement fort que ma respiration s’est arrêtée quand il s’est approché de moi. Il sentait le bouc. »
Elle poursuite : « J’ai eu des sueurs froides et mes cheveux s’étaient dressés sur ma tête. Aujourd’hui, s’il n’avait pas repris contact avec moi, j’aurais juré que j’avais affaire à un être surnaturel. Il ne s’était pas rasé depuis des mois et ses cheveux étaient très longs. Je voulais lui demander de sortir, mais je ne pouvais pas communiquer avec lui. Il sentait la charogne. Ne pouvant pas supporter cette odeur nauséabonde, je commençais à étouffer. Pour éviter l’évanouissement, j’ai pris mes jambes à mon cou et suis sortie de la chambre en courant. »
« J’ai appelé le militaire qui nous avait mis en rapport pour qu’il vienne le convaincre de partir. Ce dernier m’a fait comprendre que le marin a passé des mois en mer et dès qu’il est arrivé à Dakar, il a senti le besoin de coucher avec une femme. Il est revenu chez moi deux jours plus tard, après qu’il a changé ses vêtements, pris une bonne douche et s’est fait beau. Il avait une meilleure mine et n’était pas aussi affreux que ça. A la fin, il est devenu l’un de mes meilleurs clients et m’a même offert un téléphone portable de marque. » Une petite éclaircie dans les nuits parfois grises des filles de joie. »
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