Un phénomène de prostitution «low cost» est en pleine expansion sur l’île paradisiaque de Ngor. Des prestations à moindre coût qui attirent une vague de jeunes, qui déferlent sur le site pour assouvir leurs désirs. Entre tentations et découvertes, ils divaguent face à l’accessibilité des prostituées. De celles-là, nous avons rencontré une : Eva, de son nom d’emprunt. Agée de 24 ans, sérère bon teint avec des formes généreuses, la petite dame s’est confiée à nous sans retenue.
Ngor, petite île de de 100 habitants située à 400 m, à peine, du village du même nom, est un coin tranquille sur la Pointe des Almadies. Découverte depuis la préhistoire, cette île de 01, km2 est un lieu de repos et de détente, notamment de célébrités sénégalaises et même occidentales. Sur ce bijou charmant , traditionnellement peuplée de pêcheurs lébou, des filles de joie offrent des services de charme à bas prix. C’est le cas de Eva, cette étudiante qui exerce sous une des tentes dédiées. Avec un gain mensuel de 450.000F en moyenne, et malgré ses multiples tentatives de suicide, Eva s’accroche. Elle a renoncé aux amphis, pour de la prostitution, il y a deux ans. Mais dans son village, tout le monde la croit toujours étudiante et très prometteuse. Voici l’histoire d’une étudiante atypique qui gagne bien sa vie, mais à la sueur de ses cuisses. A Dieu les études ! Portrait.
Il est 15 heures passées lorsque nous arrivons à la plage de Ngor par cette après-midi ensoleillée. Pour accéder à l’autre rive, il faut débourser 1000 Fcfa pour un billet aller-retour. Les propriétaires des pirogues, longeant la grève, ne s’abstiennent pas d’aborder la clientèle. Une fois mon billet acheté, je reçois un gilet de sauvetage et l’on m’instruit d’attendre l’arrivée de la pirogue. Après une dizaine de minutes, à la queue-leu-leu, nous prenons place à bord de la pirogue pour rallier la «Plage 2 ».
A peine installés, trois minutes ont suffi pour que nous arrivions à destination. Une fois les pieds posés sur du sable, des sollicitations des filles de joie pleuvent de partout à mes oreilles. «Baye Fall bi, désirez-vous une chambre, une tente ou un parasol ». Je présumais, de fait, que ma mission serait facile. Je hoche la tête comme pour répondre par l’affirmatif. Un jeune homme, la vingtaine fraîchement dépassée, me sert de guide et me promet un moment de détente inégalée. Pendant que nous nous faufilons sur les étroites allées de la «Plage 2», je m’avance presque hésitant avant de lui faire part de ma volonté plutôt cocasse. «Grand xamo foumeu meuneu amé djiguèène bouy teud ?» (Et où puis-je me procurer les services d’une fille de joie ?», lui demandais-je. Comme un habitué de ces genres de requêtes, il s’arrête un moment, me regarde et, à son tour, hoche la tête.
Nous sommes au plein milieu de l’île, le soleil embrasse nos visages de façon ardente, les touristes se promènent profitant du beau temps, s’arrêtent par moments devant les attelages de produits artistiques, s’achètent à manger. Et c’est là que j’entends mon guide du jour dire : «Tu es où ? J’ai du travail pour toi ». Et quelques minutes après surgissent deux dames.
Mon look de flic complique la tache
La conversation lancée, je prends mes aises avant qu’elles ne me conduisent vers leurs repères ô combien bien cachées. Dès mon entrée dans la chambre, mon guide prit immédiatement congé de nous. Les deux femmes, assises devant moi, me demandent de faire un choix. J’étais choqué ! D’une voix presque tremblotante, je leur avoue n’être pas un vrai client mais que sur plan intime, rien ne va avec ma copine. J’ai voulu parler avec des femmes expérimentées pour avoir des astuces. Déçues, mes hôtes me prient gentiment de sortir avant de me demander si je n’étais pas un limier. A vrai dire, avec ma dégaine, j’avais vraiment l’air d’un flic.
Sorti, de cette chambre, je vais donc retrouver mon fameux guide et je lui fais part de mon échec. Pensant que je n’avais pas assez d’argent, il me fait une nouvelle proposition. «J’ai ce qu’il te faut», me dit-il. Même processus et douze minutes plus tard, me revoilà devant une nouvelle fille de joie, je nommerais Eva.
Sa chambre, plus étroite que celles des 2 précédentes, dégage une chaleur suffocante. Je crus m’étouffer d’un moment à un autre. Nous discutons prix. Je lui propose 2000 F mais lui fais savoir, comme les précédentes que je voulais juste des conseils coté intime. Eva me demande pourquoi je viens juste pour converser avec elle ? – Je lui demande si cela ne lui était jamais arrivé ? – Elle réplique que si mais précise que c’est très rare. Après ce jeu de ping-pong de questions-réponses, nous avons fini par nous comprendre. Et Eva a accepté de discuter avec moi.
Native du village de Nadem, à 120 km à l’Est de Dakar, dans la région de Thiès, Eva n’a pas atterri sous une tente par choix, mais par accident de parcours. Ancienne étudiante de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Eva n’a pas honoré les attentes de la Faculté de Droit. Après avoir cartouché durant deux ans, elle jette l’éponge. Entre pressions sociales, attentes parentales et propre fierté, «j’ai dû trouver un autre moyen de subsistance», se justifie-t-elle. C’est autre moyen et bien, c’est la prostitution.
Le village de mon interlocutrice n’est pas à l’abri du chômage, du mal de vivre, de l’exode rural. C’est d’ailleurs pourquoi les habitants ont fondé une industrie artisanale locale et exportent aujourd’hui dans le monde entier. Ce qui a un temps soit peu créer quelques emplois. Face aux réalités de son village, Eva ne se voit pas revenir chez elle, les mains vides. Les attentes de la maisonnée vis-à-vis d’elles sont trop grandes. En tout cas, elle a trouvé son bon filon sur l’île paradisiaque de Ngor. Avec un gain journalier de15.000 Fcfa/ jour en moyenne, (soit 450.000F par mois), ce n’est pas facile d’arrêter cette activité. Mais à l’occasion des fêtes ou vacances universitaires, Eva retourne dans son village de Ndem en tant qu’étudiante.
La peur d’être prise la main dans le sac
Quoique lucrative son activité, le risque de retrouver un jour nez-à-nez avec un ressortissant de son village, hante angoisse au quotidien Eva qui admet lucidement que sa «vie ne tient qu’à un fil». «Plus d’une fois, j’ai essayé de me suicider, mais il me reste un brin de foi», nous révèle-t-elle. Parlant de foi justement, les habitants de Ndem, appellés des Baay Fall, sont des mourides très religieux. Le travail, la prière et le jeûne sont pour les membres de cette communauté une des meilleures façons de servir Dieu.
Après une journée de travail bien remplie, c’est à Scat Urbam que Eva s’offre du repos. Elle partage un petit appartement avec trois autres copines qui exercent le même métier dans tous les lieux huppés de Dakar.
Bachelière, Eva avait la possibilité de se trouver une autre activité plus convenable moralement, plus commode socialement mais, sans doute moins rentable financièrement. C’est plus intéressant de vivre confortablement à la sueur de ses cuisses que de son front. En fait, c’est que la prostitution ‘’nourrit bien son homme’’ pour ne pas dire qu’elle ‘’nourrit sa femme’’.
Lucide, il arrive à Eva d’avoir quelques remords par rapport à sa vie actuelle. Eva semble ne plus avoir goût à la vie. Et c’est souvent dans ces situations que les souvenirs de sa défunte mère décédée des années, lui remonte à la tête. Fataliste, Eva ne semble pas prête à quitter le milieu et met sa situation de prostituée sur le compte de la destinée tout comme si elle n’avait pas d’autres options. «Je ne sais si on peut changer sa destinée, mais j’ai l’impression que si elle (ndlr : sa mère) était toujours là, je ne tomberais pas aussi bas », dit-elle avec une voix tremblotante.
Grâce au tourisme sexuel, nombre de jeunes filles sont sorties des entrailles de mère prostitution en décrochant le jackpot qu’est un «toubab» et en filant presque le parfait amour. C’est aussi le vœu secret de Eva. Un vœu contrarié par un toubab plaisantin, qui lui en a fait promesse, mais parti sans jamais revenir.
Le revers de la médaille
Parfois des prostituées sont considérées plus bas que terre par ceux-là même qui s’attachent leurs services sexuels. Eva aussi fait face à ce comportement. Mais comme beaucoup d’autres filles de joie, Eva reste tout de même humaine même si beaucoup de clients les traitent «comme des objets». Mais c’est une attitude que Eva peut comprendre provenant des clients. «Ils n’ont aucune considération pour nous et d’une part, ils n’ont pas tort. Parfois, on a plus envie de se recueillir auprès de personnes comme toi que de coucher avec quelqu’un. La routine tue notre humanité», confesse-t-elle.
Finalement, je me sens comme dans un confessionnal : tel un prêtre de l’église catholique romaine, écoutant les péchés d’une fidèle qu’il faut absoudre après sa confession. Touché par son histoire, je me perds. Dans ma poche, se trouvaient plus de 16.000 Fcfa. Pris de compassion, je suis tenté d’aider, mais à quoi bon ? me dis-je.
Comme convenu au début de notre rencontre, je lui tends les 2000 Fcfa. A ma grande surprise, Eva refuse de prendre cet argent. Elle me regarde un instant et me dit de m’en aller.
Je sais a priori que des personnes en grande détresse ont parfois besoin juste de parler, surtout de trouver une personne qui les écoute sans les juger. Rétrospectivement, je pense m’être livré, modestement, à cet exercice un peu de psychologue sans le savoir. Une fois parti, j’ai eu le sentiment de l’avoir déchargée d’un lourd fardeau. La parole peut être thérapeutique. N’existe-t-il pas une technique de guérison bien connue des psychologues qui s’appelle «psychothérapie» ? Ou même de «l’art-thérapie» où certaines expressions artistiques comme le théâtre sont utilisées pour apporter du bien-être à un patient ?
Au vu de l’histoire de Eva, je me dis que la vie ne devrait pourtant pas être aussi compliquée si nous nous en tenions aux strictes nécessaires.
Mais les influences de la vie moderne poussent l’être humain à faire certains choix difficile à assumer. Des Eva, il doit y en avoir des millions qui, contraints par des envies parfois superflues n’ont pas été libres de faire les bons choix.
senenews
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