Lors d’un vol Paris-Alger le 3 décembre 2017, un étranger en situation irrégulière a été rapatrié sous escorte policière, menotté, affublé d’un casque de boxe et d’un masque sur le nez et la bouche. Cet accoutrement a choqué plusieurs passagers, qui ont alerté la rédaction des Observateurs de France 24. La pratique existe pour les détenus particulièrement agités, mais le ministère de l’Intérieur n’a pu nous prouver qu’elle était légale…
En plus des menottes, habituelles, l’homme portait un casque matelassé, de type casque de boxe, et un masque chirurgical devant la bouche, visant à l’empêcher de cracher, masquant en grande partie son visage.
Notre Observateur Sadek Bouzinou était assis à quelques mètres de l’homme, au fond de l’appareil. Il a pu discrètement prendre ces deux photos, malgré l’interdiction du personnel de bord.
Au début, je n’avais pas vu ce détenu, qui était silencieux et calme. Peu de temps après le décollage, il a demandé aux policiers de lui enlever le casque. « Pourquoi m’avez-vous mis ça ? Je ne suis pas un chien, je suis comme les autres voyageurs », a-t-il dit dans mon souvenir. Avec mes deux voisins de rangée, nous avons alors signalé notre mécontentement et demandé aux policiers de lui enlever le casque. Ils nous ont dit non, que le détenu risquait de les frapper ou de leur cracher dessus. Voyant que les autres passagers étaient indifférents et que les policiers étaient professionnels, nous n’avons pas insisté.
Un peu plus tard, une dame est allée aux toilettes [situées au fond de l’appareil, où le détenu était assis, NDLR]. Elle a alors dit tout haut qu’il ne fallait pas soutenir ce détenu, mais plutôt les policiers qui font un travail difficile. Le détenu s’est alors emporté, il a insulté tous les passagers, s’insurgeant contre leur indifférence. Il n’a pas fait de mouvement brusque et n’a pas essayé de se débattre, il a juste exprimé sa colère. Certains passagers lui ont répondu en disant qu’ils étaient avec leurs enfants – qui pleuraient – et qu’il n’était pas correct de proférer des insultes en public. Ça a duré quelques minutes, le temps que les hôtesses parviennent à calmer tout le monde.
Nous avons pu également nous entretenir avec le voisin de notre Observateur dans l’avion, Mohammed Sellah.
L’utilisation de ce casque est-elle légale ?
Dans une instruction émise par la Direction générale de la police nationale en 2003, portant sur les éléments utilisables pour maintenir un détenu récalcitrant, aucune mention n’est faite d’un masque ou d’un casque. Il est clairement détaillé que seules les menottes, bandes velcro et ceintures de contention sont utilisables par les escorteurs.
Pour le ministère de l’Intérieur, rien n’interdit l’usage du casque
Contacté par notre rédaction, le ministère estime que le casque « n’est actuellement proscrit par aucun texte » et que son usage « sera expressément prévu dans la prochaine instruction sur l’éloignement en cours d’écriture ». France 24 a demandé au ministère de fournir des documents juridiques prévoyant clairement son utilisation, ce qu’il n’a pas été en mesure de faire.
Le ministère a par ailleurs indiqué que le casque servait à protéger le passager de lui-même, pas à l’entraver, et que le maintien du casque tout au long du vol était « très exceptionnel », mais justifié par l’état d’agitation du détenu. Celui-ci « s’était signalé en CRA [centre de rétention administrative] par un comportement particulièrement violent nécessitant plusieurs mises à l’isolement. Il a insulté les policiers et les passagers durant tout le vol et a dû rester menotté », détaille le ministère en référence au rapport fourni par les deux policiers présents à bord.
Cette version des faits ne correspond pas au témoignage de notre Observateur et de l’autre passager, qui affirment que le détenu était la plupart du temps calme et silencieux, hormis un moment de colère qui a duré environ cinq minutes.
Le casque et le masque prévus dans la formation des escorteurs
Le recours à ce masque est inscrit dans la formation de deux semaines suivie par les escorteurs policiers, mais il y est très clairement qualifié de « moyen d’entrave », et n’est pas considéré comme un moyen de protéger le détenu contre ses propres accès de colère, comme l’avance le ministère de l’Intérieur.
Par ailleurs, dans une note de service, datant de 2016, dictée à France 24 par une source policière qui a souhaité garder l’anonymat, on peut lire entre autres : « Dans le cadre des missions d’escorte, les agents sont dotés de moyens contentieux spécifiques fournis par l’administration : il s’agit […] du casque de protection de type « casque de boxe », du […] masque chirurgical FF2P, pour protéger des crachats ». Le casque et le masque sont donc prévus par la pratique policière et sont considérés comme des « moyens d’entrave ».
Une pratique « illégale », « humiliante » et « dégradante » selon le Défenseur des droits
Mais pour le Défenseur des droits, une autorité constitutionnelle indépendante chargée de défendre les droits des citoyens, interrogé par France 24, cette pratique est choquante en soi :
« L’utilisation de ce casque n’a pas de base légale. Les autorités jouent sur les mots en disant que ce casque sert à protéger le détenu, mais nous le considérons comme un moyen d’entrave. Utilisé ainsi, comme des menottes, il est illégal. Nous le tolérons dans les lieux de privation de liberté, à l’abri des regards, quand le détenu veut s’infliger du mal. Mais dans un avion, devant des dizaines de passagers, il s’agit d’un traitement inhumain et dégradant. Notre position est très claire : nous sommes contre son utilisation lors des reconduites. Par ailleurs, le bavoir, ou masque chirurgical, porté par le détenu sur cette photo est pour nous assimilé à un bâillon, parce que le visage de l’homme est masqué. C’est donc également problématique en notre sens », détaille l’institution à France 24.
Que retenir de ce débat juridique ?
– Le ministère de l’Intérieur reconnaît que les textes encadrant l’usage de ce casque sont insuffisants et affirme travailler à la rédaction d’une nouvelle instruction.
– Les policiers escorteurs qui utilisent ce casque respectent les règles prévues dans leur formation.
– Le Défenseur des droits estime que l’utilisation de ce casque est illégale pour deux raisons : c’est un moyen de contention pour l’instant exclu des textes juridiques et c’est aussi un traitement inhumain et dégradant de la personne, puisqu’il est imposé dans un lieu public, à la vue de tous.
Reporters
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