En Gambie, certains regrettent le départ de Yaya Jammeh : « L’argent circulait… »
Téléphone collé à l’oreille, Awa Faal est seule dans sa boutique. Pourtant, ce n’est pas de la marchandise qui manque. Le magasin est rempli de produits divers : thiouraye, chaussures, sacs pour écoliers, djellaba, draps… Elle s’approvisionne, confie-t-elle, en Arabie Saoudite, à Dubaï et même au Sénégal.
« Cela ne marche plus comme avant, se lamente-t-elle. Peut-être que les Gambiens pensent d’abord à la dépense quotidienne. Les prix pour les Djellabas varient entre 500 dalasis (5 500 F CFA), 600 et 900. Mais cela ne marche vraiment pas, surtout avec l’approche des élections. Je pense que c’est dû à la psychose. Je connais beaucoup de gens qui sont en train de s’approvisionner en nourritures pour parer à tout. De mon côté, je prie pour que tout se passe dans la paix, et qu’on élise le meilleur président. Dieu est grand. ».
Du coup, elle nourrit de fortes attentes par rapport au président à venir. Selon elle, ce dernier devra s’atteler à réduire le coût de la vie jugé élevé. « Les prix flambent sans cesse. Si cette semaine, on achète à tel prix, il faudra débourser plus la semaine suivante. C’est vraiment dur. Prenons le riz par exemple. La semaine dernière, j’avais acheté le sac à 1 300 dalasis. Deux semaines plus tard, le prix était passé à 1 400 dalasis, soit une hausse de 100 dalasi. C’est toujours comme ça. Pour les oignons, j’avais acheté à 50 dalasi, quand je suis retournée au marché, ils m’ont demandé 100 dalaisis de plus. » Forte de ce fait, la Gambienne espère une alternance au soir du 4 décembre.
“L’argent circulait”
Regrette-t-elle pour autant l’époque Yahya Jammeh ? « (Elle hésite longtemps). Pour dire vrai, Yahya Jammeh avait son utilité. A son époque, il n’y avait pas autant d’agression et de banditisme. De ce point de vue, j’ai vraiment sa nostalgie. » Par contre, elle reconnaît que c’est sous le règne de l’actuel président, Adama Barrow, que la démocratie est plus perceptible. « Sous Yahya Jammeh, la liberté d’expression n’était pas respectée. Il faut le dire aussi », concède-t-elle.
Deux seaux, un tenu dans chaque main, Binta Sonko dégouline de sueur. De noir vêtue, à 13 heures passées, elle a quitté Kotu. Elle peine à trouver des clients pour écouler ses jus locaux à base de pain de singe, de gingembre, entre autres saveurs.
« Je parcours des kilomètres mais je vends peu. Quand j’aborde un potentiel client, il me dit qu’il n’a pas d’argent. Alors qu’avant l’argent circulait. J’attends beaucoup du futur président. Les Gambiens aspirent d’abord à une vie paisible. Ensuite, il faut dire que la vie est très chère. Surtout, il faut que l’argent circule pour le développement de nos business. Après le départ de Yahya Jammeh, le changement espéré n’a pas eu lieu. Dans mon cas, je suis restée sur ma faim. Je regrette vraiment le départ de Jammeh, a-t-elle avoué, après une petite hésitation. Parce que sous son règne, l’argent circulait. Mon business marchait vraiment. De plus, je ne marchais pas beaucoup. Je parvenais à écouler mes produits à peine quelques mètres parcourus. Aujourd’hui, même dans les garages, je ne parviens pas à trouver de clients. Le prix des gobelets a augmenté, passant de 125 dalasi, contre 100 avant. Cela se répercute forcément sur le prix de vente. »
Faute de client, Lamin Bodian roupille dans son taxi. « Cela ne marche pas, se plaint cet habitant de Birkama. Il n’y a pas beaucoup d’argent alors que la dépense quotidienne, elle, ne diminue pas. Avant, je donnais 200 dalasis à mon épouse. Aujourd’hui, il faut au moins 300 dalasis. Le pays ne marche pas. (Le temps d’hésitation est moins long). Moi, qui vous parle, je ne voulais pas que Yahya Jammeh quitte le pouvoir. Il gère mieux que les actuels tenants. Avant, j’avais des recettes tournant entre 400 et 500 dalasis. Aujourd’hui, mes recettes varient entre 150 et 200 dalasis. C’est peu. Parce que j’ai une épouse et trois enfants à nourrir. »
“Si seulement, on pouvait remonter le temps”
C’est comme si Khady Bodian et Fatou Seydi, deux copines trouvées attablées au ‘’the kitchen restaurant’’ s’étaient passées le mot. « Non, non », ont-elles rétorqué à l’interrogation sur le départ de l’homme de Kanilay. Il faut relever qu’entre temps, la première qui s’activait dans le tourisme, a perdu son emploi depuis 2018. La Covid-19 est passée par là. Mais celle qui s’est reconvertie dans le business en veut beaucoup au gouvernement en place. Elle est catégorique : « Yahya Jammeh aurait pris des mesures plus hardies. Vous ne savez pas à quel point je regrette qu’il soit parti. Si seulement, on pouvait remonter le temps. Mais, son seul problème, c’est qu’il n’acceptait pas la liberté d’expression. »
Abordant le coût de la vie, cette amatrice de pain regrette la hausse notée sur le prix de la miche. « Avant, je l’achetais à six dalasis. Aujourd’hui, le prix est de 10 dalasi. Parlons du transport, je dépense 10 dalasi contre 8 auparavant. L’état des routes laisse aussi à désirer. On peut rester une journée sans électricité. Des quartiers vivent des jours sans eau. » Selon elle, l’économie est gérée par des investisseurs étrangers. « La plupart des hôtels et restaurants appartiennent aux étrangers dont les Libanais. Très peu de Gambiens ont cette possibilité. Il est temps qu’on inverse la tendance. »
La seconde, divorcée avec deux enfants, s’active aussi dans le business qui « ne marche pas », a-t-elle confessé.
« C’est bien beau de parler de démocratie mais, en Afrique, nous avons nos réalités. Il faut bien que les gens mangent aussi », conclut-elle.
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