(Interview) «Cheikh Béthio dérangeait et il fallait le museler, il a été victime de 4 Avc»

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Il fait partie des plus fidèles talibés de Cheikh Béthio Thioune. Ibrahima Diagne, coordonnateur de la cellule de communication de Cheikh Béthio, est un Thiantacône convaincu. Aux côtés du guide des Thiantacônes, depuis son évacuation à Bordeaux, Ibrahima Diagne a été témoin des derniers jours de Cheikh Béthio sur terre. Stoïque dans la douleur, Ibrahima Diagne, élevé au rang de Dieuwrigne Universel de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis où il a d’ailleurs obtenu son diplôme en Langues étrangères appliquées option Affaires, revient sur les derniers instants de Cheikh Béthio, ses recommandations, l’avenir des dahiras thiantacônes, le procès de son guide. Ibrahima laisse parler son cœur, rendant grâce à Serigne Saliou, comme son Cheikh, jusqu’à son rappel à Dieu, avant-hier mardi.

Cheikh Béthio Thioune a été rappelé à Dieu avant-hier, à Bordeaux, où vous avez séjourné avec lui, comment avez-vous vécu l’annonce de sa disparition ?

Cheikh Béthio chemine avec Serigne Saliou Mbacké, depuis qu’il a huit ans. C’était le 17 avril 1946. Il a servi la haute administration sénégalaise de belle manière, au point d’être décoré du grade de l’Ordre national du Mérite par le défunt Président Léopold Sédar Senghor, pour services rendus à la Nation. Après, il a été élevé au rang de Cheikh par Serigne Saliou. De 1946, au rappel à Dieu de Serigne Saliou en 2007, Cheikh Béthio n’a jamais arrêté de servir son guide. Même dans les grands moments de fatigue, il n’a pas bronché. Il était alité depuis plusieurs années. Il se rendait souvent en France pour des soins depuis son Accident vasculo-cérébral (Avc). Cheikh Béthio Thioune a fait quatre Avc. C’est difficile de survivre à un Avc, a fortiori quatre. Serigne Saliou l’a beaucoup assisté, mais nous pensions que Cheikh Béthio allait nous quitter depuis longtemps. A l’époque, nous pensions qu’il n’allait pas survivre après son hospitalisation. Par la suite, son état de santé s’est encore détérioré et il venait souvent en France pour se faire soigner. Il est certes âgé, mais la fatigue aussi y est pour beaucoup. Il a toujours été un valeureux disciple de Serigne Touba qui ne ménageait aucun effort pour la réussite du Magal de Touba et des thiants. Il était vraiment usé. En 1990, quand Serigne Saliou défrichait Khelcom, Cheikh Béthio se chargeait de la cuisson des repas pour les milliers de talibés qui avaient répondu à l’appel de Serigne Saliou. A lui seul, Cheikh Béthio se chargeait de la récolte des 15 daaras de Serigne Saliou à Khelcom. C’était en 1999. Il l’a fait plusieurs années durant jusqu’en 2007. Il y allait avec ses talibés et y restait pendant un mois. Et il réussissait la mission. Nous avons célébré là-bas deux korités. Je pilotais le groupe qui venait de Saint-Louis, Louga, Fouta…Tous ces coups de fatigue ont eu raison de lui, en plus de son âge avancé. Cheikh Béthio Thioune a plus de 80 ans, il avait besoin de repos, mais n’a jamais voulu le faire. Il allait souvent en France pour honorer ses rendez-vous. Il était suivi de très près par son médecin traitant.

On dit que ces derniers jours, son état de santé s’est vraiment dégradé, qu’en est-il exactement ?

La maladie le rongeait vraiment, en plus des coups de fatigue, dont je vous ai parlé. Il était épuisé, sans compter les quatre Avc. Nous ne pensions pas qu’il allait vivre autant. S’il a vécu jusqu’à ses 80 ans, c’est grâce à Serigne Saliou, qui l’a guéri du cancer. Il avait même organisé un thiant pour rendre grâce à Serigne Saliou pour cette énième faveur. Serigne Saliou lui a montré le pouvoir de Serigne Touba.

Comment avez-vous vécu avec lui ses derniers jours ?

Il était là avec nous, toujours jovial. Il m’a appelé, il y a un mois et demi, deux mois et m’a demandé de le rejoindre en France. Il faisait la navette à l’hôpital, mais n’empêche, il recevait les ziars des talibés. Malgré sa maladie et son traitement, il forçait pour être en communion avec ses talibés. Il leur demandait de bien célébrer le Magal, de suivre les recommandations de Serigne Saliou, de lire les xassidas de Serigne Touba. C’était un homme courageux.

Vous faites partie des personnes qui sont très proches de Cheikh Béthio, à quand remonte votre dernière conversation et quel en était le contenu ? Quelles sont ses dernières recommandations ?

Rendre grâce à Serigne Saliou, ce qu’il a fait jusqu’à son dernier souffle. J’ai fait mon dernier ziar auprès de lui, il y a de cela dix jours, j’étais avec un ami qui venait de Paris pour faire acte d’allégeance auprès de lui, avec ses enfants. Nous l’avons trouvé avec une mise soignée. Il soignait toujours sa mise pour recevoir ses visiteurs, malgré sa maladie. Il respecte l’être humain. Il ne voulait montrer aucun signe de faiblesse. Il tenait toujours à rassurer ses hôtes. Sa seule recommandation est de toujours rendre grâce à Serigne Saliou. Nous sommes des Thiantacônes, notre seule mission est de rendre grâce à Dieu.

Est-ce qu’il a fait des recommandations pour la gestion des dahiras thiantacônes, sa fortune ?

Non. Peut-être qu’il en a parlé avec sa famille. Nous sommes des talibés. Mais l’héritage de Cheikh Béthio ne peut dépasser les thiants, le Magal et le 17 avril. L’héritage de Cheikh Béthio est spirituel, c’est-à-dire suivre les recommandations divines.

Mais il faudra au moins quelqu’un pour incarner tout cela ?

Nous sommes très proches certes et j’ai le privilège de l’accompagner pour tous ses déplacements, il a même fait de moi un Dieuwrigne universel, mais pour ça, il faudra attendre sa famille. Ce qui est sûr, c’est que Cheikh Béthio a préparé tous ses talibés à être ses successeurs. Chacun de ses talibés peut continuer l’œuvre du Cheikh.

Dans vos entretiens, il ne vous a jamais dit qu’il préparait quelqu’un pour porter son héritage ?

Non, nous n’avons jamais abordé cette question.

Le rappel à Dieu de Cheikh Béthio est survenu au lendemain de sa condamnation à dix ans de travaux forcés, comment avez-vous accueilli tout cela ? Est-ce que le Cheikh a été informé du verdict ?

Non, Cheikh Béthio Thioune n’était pas au courant du verdict. Il nous a toujours recommandés de respecter les lois du pays et de donner à la justice sa place, de respecter les décisions de la justice. Il a toujours cru en la justice de son pays. Il a toujours déploré les manifestations qui ont suivi son arrestation. Il s’en est toujours remis à Serigne Saliou Mbacké depuis 2012. Les hommes de droit l’ont dit, il n’y avait pas une nécessité de mobiliser la gendarmerie et le Gign pour aller cueillir Cheikh Béthio. Alors que pour l’enquête préliminaire, les gendarmes étaient sur le terrain pour situer les responsabilités, le Procureur d’alors Ibrahima Ndoye était déjà en conférence de presse. Lors de ce procès, tous les accusés l’ont disculpé. En fait, c’est une bataille rangée qui a mal tourné. L’affaire de Madinatou Salam, c’est deux groupes qui se regardaient en chiens de faïence et ça a mal tourné. C’est ça la réalité. Le Cheikh n’était au courant de rien du tout. Le seul ndigeul qu’il a toujours donné, c’est de ne jamais toucher à Bara Sow. Ce qui s’est passé dans cette affaire, ce n’est pas du droit, mais un règlement de comptes. Cheikh Béthio dérangeait et il fallait le museler. Si Abdoulaye Wade était réélu en 2012, Cheikh Béthio ne serait jamais inquiété. Des faits plus graves se sont passés dans ce pays et personne n’a été inquiété. Et ce sont des marabouts qui étaient mis en cause, mais parce que c’est Cheikh Béthio, il fallait le trainer devant les tribunaux. Mais comme Cheikh Béthio avait ouvertement soutenu Wade, c’est Dieu qui a valu ça.

Est-ce qu’il suivait le procès ?

Au début, oui. Cheikh Béthio suivait toujours l’actualité. C’était plus grave en 2012, avec son arrestation. Nous talibés, n’attendions rien de ce procès.

Pourquoi, vous ne l’avez pas informé après le verdict ?

Il était en soin durant toute cette semaine. Il ne pouvait pas et ce n’était même pas adéquat. Ce n’était pas possible de lui dire quoi que ce soit.

La dépouille du Cheikh se trouve présentement à Bordeaux, où en êtes-vous avec le rapatriement du corps ?

Nous sommes en train de régler tout ce qu’il faut. Vous savez aujourd’hui, (hier) est un jour férié en France. Le médecin Khadim Ngom et le Dieuwrigne Limamou Guèye, même le Consul était là hier, sur recommandation du président de la République, font tout pour régler les papiers pour que le corps arrive au Sénégal, le plus rapidement possible.

Quand exactement ?

Au plus tard le week-end.

Quels sont les membres de sa famille qui sont là-bas ?

Il y a son épouse, Sokhna Bator Thiam, son fils, Seydina Saliou Thioune.

Cheikh Béthio avait émis le vœu d’être enterré à Madinatou Salam, mais il se dit que le Khalife général des Mourides a demandé qu’il soit enterré à Touba, qu’avez-vous retenu ?

Nous nous en remettons à la famille. Serigne Saliou avait dit à Cheikh Béthio, ‘’qui te connait, qui te voit ira au Paradis.’’ C’était le 19 septembre 1990. C’est dire que où qu’il sera inhumé, ce que Serigne Saliou lui a donné est beaucoup plus important et nous allons continuer à en bénéficier.

Avec le rappel à Dieu de Cheikh Béthio ne craignez-vous pas que les Thiantacônes soient exposés, qu’il y ait une dispersion dans les rangs ou infiltration ?

Nous avons toujours été infiltrés. Rien ne peut nous diviser. L’unité sera toujours là. Les Thiants survivront au Cheikh parce que nous avons un bien en commun que nous ne pouvons pas nous partager et c’est Serigne Saliou.

Et vous pensez qu’il y aura quelqu’un d’assez fort pour veiller à tout cela ?

C’est bien possible. Le legs de Cheikh Béthio se résume aux Thiants et au Magal. Ses épouses et ses enfants veilleront à ce que cela se poursuive. Les talibés ne peuvent faire rien d’autre que suivre la famille du Cheikh. Les Thiants vont se poursuivre, rien ne pourra nous freiner. Nous resterons unis pour continuer l’œuvre de Cheikh Béthio Thioune.

L’Observateur

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