La maman de Pape Ndiaye, le benjamin de la bande à Ino et Alex raconte l’histoire dramatique

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Le récit des grandes mutineries de l’histoire carcérale du Sénégal ne peut se faire sans leurs noms. Leurs «pseudos» Ino et Alex ont fait le buzz à la fin des années 90 et au début des années 2000. Leur spécialité ? Le braquage des stations service, vol de véhicules. Leur terrain de prédilection ? Le territoire du Sénégal. Mais, la particularité de ce binôme atypique est qu’ils étaient réfractaires à l’ordre et hyper allergiques à la détention. D’où leur nombreuses évasions et tentatives d’évasion qui n’ont pas seulement perturbé le sommeil de leurs victimes, mais aussi la quiétude et la carrière d’agents de l’Administration pénitentiaire et les éléments de la police et de la gendarmerie. Et même arrêté, les menottes à la main, Ino a continué à se jouer des forces de l’ordre. Quand les gendarmes «l’exhibaient», tel un trophée de guerre, lui faisait, avec ses doigts le V de la victoire, le sourire narquois aux lèvres. Ainsi peut se résumer le Cv de Alioune Abatalib Samb alias Ino et Alassane Sy dit Alex. Unis dans la délinquance, séparés par la mort, ces deux «célébrités» nationales ont eu un parcours «riche» pour avoir écumé Dakar et quelques régions dans les années 1990. Ils se sont imposés dans la mémoire collective des Sénégalais, en semant le désordre avant d’être vaincus par la maladie.
Nous sommes dans le courant de l’année 1999, les éléments de la brigade de Thiaroye réussissent un gros coup. Exploitant des renseignements sur un nommé Alassane Sy, décrit comme un délinquant notoire, les limiers parviennent à le localiser à Malika. Selon le commandant Wagane Faye, porte-parole d’alors de la gendarmerie nationale, celui-ci était à bord d’une voiture de marque citroën Xsara immatriculée 1497-Tt, volée au bureau de la coopération française du ministère de l’Intérieur. Toutefois, à leur arrivée, Alassane Sy n’était pas sur les lieux. Ils parviennent quand même à neutraliser quelques uns de ses acolytes. Parmi eux, Alioune Abatalib Samb, évadé de prison en février 1999 et activement recherché.

Durant cette opération, un policier a été blessé par balle à l’orteil. Le reste de la bande s’échappe à bord d’une 4X4 Toyota double cabine, volée, selon le porte-parole de la gendarmerie, à la sous-préfecture de Gandiaye. Une équipe de douze éléments du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (Gign), chargée de la traque mettra la main sur Alassane Sy dit Alex qui se trouve être chef du gang, Bocar Ba alias Djiby, Cheikh Ba et Ahmet Ba plus connu sous le nom de Ifra. Leur cavale a pris fin dans un hameau de Yohem, à 4 kilomètres au nord de Rosso-Béthio, dans la région de Saint-Louis.

Acheminés à Rebeuss, ils y retrouvent Ino, mais ce dernier parviendra à s’évader, avec la complicité supposée de quelques responsables de la prison. Ainsi, selon les témoignages d’un gardien, repris par le journal Sud Quotidien du 8 juin 1999, ils auraient profité du manque de vigilance du seul gardien qui, au moment des faits, dégageait les bols vides afin de permettre aux détenus d’avoir assez d’espace où dormir. Hélas, ils se ruent sur lui et le frappent avec violence. Ils réussissent par la suite, à l’aide d’armes blanches, à maîtriser le seul gardien qui se trouvait à la porte principale, avant de s’échapper.

Un régisseur placé sous mandat de dépôt
Cette évasion suspecte va secouer l’Administration pénitentiaire. Serigne Diop, garde des Sceaux, ministre de la Justice d’alors, demande des sanctions : «La justice sénégalaise doit être reconnue comme la femme de Cléopâtre, c’est-à-dire qu’elle doit fonctionner de telle sorte qu’on ne doit soupçonner aucun de ses membres. Cela pour dire que les exigences de la justice doivent être vécues totalement et acceptées par ses membres (…). Tous ceux qui sont trempés dans cette histoire seront purement et simplement sanctionnés», a-t-il déclaré.
Conséquences : Badara Fall, adjoint au régisseur de la prison centrale de Rebeuss tombe. Il est accusé d’avoir joué un rôle important dans l’évasion de la bande à Ino. Le 10 juin 1999, il est placé sous mandat de dépôt par le doyen des juges, Demba Kandji, et incarcéré à Reubeuss où il retrouve ses anciens prisonniers. En juin de la même année, Moustapha Wéllé, garde pénitentiaire de son état, est à son tour écroué pour complicité.
C’est durant cette période trouble de la vie de l’Ad­ministration pénitentiaire que le bureau du doyen des juges échappe à un cambriolage dans la nuit du 13 au 14 juin. D’autres personnalités vont tomber: Ben Bass Diagne, alors patron de la Radio Dunya, pour recel de matériels informatiques volés par cette bande dans les services de la Météo. Suite aux informations fournies par Ino, les perquisitions ont permis selon un des enquêteurs de «retrouver dans le bureau de M. Diagne un écran plat et un ordinateur volés dans les services de la Météo».
Les fils de Bada Lô seront aussi éclaboussés par cette enquête.

Ino plaide… victime
A la Maison centrale d’arrêt et de correction de Dakar (Mcad), Alex et ses acolytes guettent la moindre opportunité pour se fondre dans la nature. Mais, leur stratégie se heurte toujours à la vigilance des gardes pénitentiaires. Après plusieurs vaines tentatives d’évasion, Alex et 5 autres détenus sont jugés coupables et sont condamnés à cinq ans de prison ferme et à payer deux millions de francs Cfa de dommages et intérêts. Cheikh Talibouya Kouyaté et Pape Konaté, cerveaux de certaines tentatives d’évasion, écopent de sept ans fermes. Quant à Ino, il demeure introuvable depuis son évasion en 2001. Mais, les recherches se poursuivent et il finira par tomber, appréhendé sur la route de la Mauritanie par les gendarmes de Kébémer, avant d’être réincarcéré à Rebeuss.
Devant le Tribunal des flagrants délits, Ino plaide coupable, bien qu’il rejette le portrait robot fait de sa personne. A la barre, il se décline comme un adepte de la non-violence et de l’injustice, assume sa part de responsabilité dans la mutinerie en question qu’il réfute cependant avoir organisé. Pour sa défense, il dit : «Madame la juge, je serais sincère pour vous dire que si l’occasion se présentait à nouveau, je vais encore m’évader. A 100 mètres, les conditions de détention sont difficiles, c’est pourquoi je m’étais évadé. Avant tout, je suis un être humain. Après mon arrestation, j’ai fait 38 jours de cellule. Je suis interdit de cour et on me refuse les soins. Ma dignité humaine est bafouée dans la détention», se plaignait-il.
En réalité, entre Ino et les évasions, c’est une longue histoire. Son «incompatibilité» avec la détention s’est manifestée depuis sa première garde-à-vue au commissariat central de Dakar. Et dire qu’avant de se faire la belle, Ino avait avoué être un «membre actif de la bande à Dabo». Une perquisition chez lui avait permis de saisir entre autres objets, des appareils électroniques, un pistolet automatique, trois chargeurs dont un garni de 8 cartouches de guerre, butin de ses actes commis avec Banda Dabo et les autres membres de la bande, nommés Ameth Diop, Mamadou Mokhtar Sow, Talibouya Kouyaté. Ils ont été inculpés en 1997, pour «vols commis par plusieurs personnes, la nuit par effraction, avec violences, menaces, port d’armes véritables et disposition de véhicule».

Evasions, cambriolages et braquages
Un long périple après cette première évasion qui a conduit Ino jusqu’en Belgique. Manque de chance, il est rapatrié à Dakar en décembre 1997. Ce jeune qui, à cette date, avait un peu plus de 20 ans (il était né un jour de 10 mars 1977) replonge dans le grand banditisme. Tel un digne héritier de Banda Dabo, Ino s’affaire à reconstruire sa bande. Aux premiers nommés s’ajoutent d’abord Pape Ousmane Samb et Alassane Sy alias Alex, ce fils de mécanicien auquel aucune sécurité de véhicule ne peut résister.
Commence alors une série de cambriolages à Grand Yoff, Ngor, Thiès, Saint-Louis (les locaux de Plan International). Ainsi ils ont signé le braquage du magasin d’armes du camp militaire de Thiaroye où ils ont volé «3 pistolets automatiques et des chargeurs qu’ils se sont partagés». A Ouakam, Ino et ses compères ont ciblé un projet de l’Usaid où après avoir ligoté les trois gardiens, se sont emparés d’un véhicule 4X4, d’une minichaîne, d’un véhicule Toyota Land Cruiser, d’un groupe électrogène et d’un chéquier.
A l’actif de cette bande, dont certains étaient aussi inculpés pour viol, l’attaque à main armée du monastère de Keur Moussa qui sera soldée par la mort d’un des malfaiteurs, Oumar Sarr. Il est décédé le 9 janvier 1997, suite à une «hémorragie externe due à des plaies internes et externes provoquées par une arme à feu».

Pas si innocent…
Après son arrestation spectaculaire en 2001, Alioune Abatalib Samb s’est révélé sous un autre visage. Ce benjamin de la bande né à Yeumbeul avait surpris certains de ses amis d’enfance : dans les rues de la Médina, on raconte un jeune garçon allergique à la violence au point de verser de chaudes larmes pour ne pas être sélectionné pour une partie de «petits camps».
Seulement, ce «poltron» qui a quitté les bancs de l’école en classe de Cm2 se fera un nom dans le grand banditisme, initié par des aguerris qui étaient de 4 à 20 ans son aîné. De quoi comprendre alors toutes les péripéties qui ont jalonné sa vie, résultats de ses fréquentations précoces avec ceux qui semaient la terreur dans la banlieue. Une famille qu’il a finie de forger dans la détention en 1998, avec de grands brigands à la cellule n° 16. Ils avaient pour noms Moussa Dioum, Abdou Konté, Pape Ndiaye, Alassane Sy dit Alex. Ce dernier, de quatre années, plus âgé que Ino était, à cette époque, marié et père d’un enfant.
Voilà des délinquants notoires qui ont mis à profit ce rapprochement circonstancié pour mûrir des plans d’évasion qu’ils réussirent le 6 juillet 2001, non sans peine. Quelque temps après, ils formèrent une bande de malfaiteurs qui opérait dans les localités de Saint-Louis, Mbacké, Mboro et Dakar. Ils étaient spécialisés dans les vols de voiture, hold-up et cambriolages. Les coups les plus rocambolesques à leur actif ont été les forfaits commis dans des stations services de la Patte d’Oie et de Ouakam. Des braquages pendant lesquels, Ifra le sanguinaire se distinguait par son sabre qu’il n’hésitait pas à utiliser. Un bout d’homme qui, à la barre, se refusait souvent de communiquer dans la langue de kocc sous prétexte qu’il ne maîtrise pas le wolof.
Seulement, la chance n’était pas aux rendez-vous lors de leur dernière tentative d’évasion. Qui leur a affecté sur le plan physique. Depuis, Alex blessé à la jambe claudique, alors que la santé de Ino, dont le corps enflait de jour en jour, commençait à décliner jusqu’à la mort.

Rencontre avec Abdou Latif Guèye
Toutefois, après les évasions, la vie carcérale de Ino a connu une nouvelle tournure, le jour où il a rencontré Abdou Latif Guèye, président de l’Ong l’Afrique Aide l’Afrique, incarcéré le 20 juin 2002 avec l’affaire dite des antirétroviraux. Le face à face entre les deux hommes a été le début de la «résurrection». C’est le déclic pour la foi religieuse qui était en berne chez le caïd. Il s’était égaré et avait besoin d’un guide qu’il trouva en son «imam», le défunt Latif Guèye grâce à qui, il a commencé à apprendre les écritures du Livre Saint.
Le compagnonnage entre les deux pensionnaires de la Mcad se résumait en termes de soutiens matériel et moral. L’imam partageait ses repas avec lui et continuait de le soutenir, même au moment où il était à la clinique Brévié de l’hôpital Principal de Dakar. Mieux, lors de son départ pour le Maroc le 23 novembre 2004, le défunt président de l’Ong Jamra n’avait pas manqué de demander à ses proches de bien s’occuper de son «protégé».
Mais, la faucheuse se signale avec la maladie qui a fini par terrasser le caïd. Très malade, Ino était vaincu par une insuffisance rénale qui lui a ôté son sourire légendaire. Sans compter les sévices corporels qu’il avait subis, en guise de correction suite à ses multiples évasions-arrestations et qui avaient laissé des hématomes au niveau de son thorax et son cou. Evacué au pavillon spécial de l’hôpital Aristide Le Dantec, il y rendit l’âme le vendredi 29 janvier 2005 vers les coups de 11 heures.

Les derniers mots d’un repenti
Les derniers mots de Alioune Abatalib Samb ont été des mots de remerciement envers ceux qui l’ont assisté, à savoir Latif Guèye à qui il aurait demandé de prier pour lui, avant de rendre grâce à Dieu pour devoir mourir «un vendredi, un jour saint». Les seuls témoins de cet instant ont été les médecins-militaires qui étaient à son chevet.
Informé de la triste nouvelle, Abdou Latif Guèye‚ du Maroc où il était, demanda à ses proches de prendre toutes les dispositions afin que le défunt soit enterré dans les règles du rite musulman.
Hormis sa sœur Kiné Samb qui était à la levée du corps, rares étaient les membres de sa famille qui avaient assisté à son enterrement. Cependant, Mbaye Diouf Dia, Mame Moctar Guèye, vice-président de Jamra et d’autres membres de cette Ong l’ont accompagné dans sa dernière demeure. Ino repose désormais aux cimetières de Yoff, emportant avec lui ses mystères.
Une page de l’histoire carcérale venait ainsi de se refermer. L’action publique éteinte pour ce chef d’une bande qui au-delà de leur victime et pendant presque une décennie, a donné du fil à retordre à l’Administration pénitentiaire, à la police et à la gendarmerie.

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