Les relations entre arbitres et joueurs sont parfois compliquées. Ces deux mondes ne se comprennent pas toujours, notamment sur un terrain dans une situation de tension où deux équipes cherchent à tout prix un résultat. Pourtant depuis quelques années, certains anciens pros n’hésitent pas à passer de l’autre côté de la barrière. Comme Jean-Marc Rodolphe, Silas Billong dans les années 2000, ou plus récemment Jérémy Stinat et Gaël Angoula, ils bénéficient d’une formation accélérée mise en place par la Direction Technique de l’Arbitrage (DTA) pour leur permettre de changer de maillot tout en restant dans leur passion. Voilà comment en quelques années seulement, les ex-joueurs professionnels parviennent à arbitrer des matches. Les plus doués se retrouvent même à diriger au plus haut niveau national.
En poussant le bouchon, on peut même dire que cette reconversion est devenue « une mode ». Les candidatures sont de plus en plus nombreuses à croire Alain Sars. « Rien que pour cette saison, on en a trois qui sont actuellement sur les terrains. Pour l’année prochaine, il y a déjà deux candidatures qui sont arrivées. C’est une filière qui fonctionne à plein », se félicite le directeur technique adjoint de l’arbitrage à la FFF. Il faut dire que depuis 2007, la reconnaissance financière, en Ligue 1 en particulier, avec un salaire fixe et des primes de match, encourage davantage les anciens joueurs à se tourner vers le monde de l’arbitrage.
Des conditions de formation assez strictes
« Ils voient en cette reconversion un moyen de ne pas perdre trop d’argent par rapport à leur statut de joueur pro, et de poursuivre une carrière au-delà des 45 ans. Ils ont là une reconversion sur 10, 12 ans intéressante financièrement. Ils restent en plus dans un milieu qui leur est cher et qu’ils connaissent depuis longtemps », nous détaille le dirigeant. Les conditions pour accéder à ce programme sont de tout même strictes. Il faut avoir moins de 35 ans, avoir été joueur professionnel pendant au moins 5 ans et avoir quitté cette profession il y a moins de 3 ans. Une fois ces critères remplis, la formation peut débuter pour deux ans.
Encore faut-il être motivé et ne pas avoir peur de se retrousser les manches. Les anciens joueurs ont beau avoir plusieurs années de terrain derrière eux, ce n’est pas pour autant qu’ils connaissent les 17 lois du jeu et toutes leurs particularités. Malgré cette passerelle qui leur fait gagner une dizaine d’années dans la pratique, ils partent avec un gros retard d’expérience et un manque de connaissances théoriques qu’il faut rapidement combler sur les terrains en District puis en Ligue. Une fois cette étape passée, direction le niveau Fédéral 3 qui permet d’arbitrer en National 1. Le tout dès la troisième année de formation. C’est ici que la concurrence devient plus rude mais que les portes du professionnalisme peuvent s’ouvrir. C’est en quelque sorte la croisée des chemins.
Toujours plus de joueurs se lancent dans l’aventure
« J’ai toujours été un homme de défis. À 34 ans, j’ai dû rompre mon contrat fin mai (avec Nîmes alors en Ligue 2), m’asseoir sur mes deux dernières années et puis j’étais parti. J’étais conscient qu’il fallait beaucoup travailler car j’avais deux mois pour obtenir cet examen », se rappelle un Gaël Angoula qui partait de très loin. « Le bouquin des lois du jeu, je ne savais même pas que ça existait. On me dit : « faut que tu apprennes ça par cœur, plus un document de questions-réponses et d’autres choses ». Putain merde ! Mais j’étais clair avec moi-même. Les gens de la Ligue m’ont signifié que ça représentait un travail colossal, que le pourcentage de réussite était très faible. Les gens étaient motivés à me faire bosser car ils ont senti ma détermination et puis ça l’a fait. »
Le travail paye pour l’ancien Bastiais au sang chaud et le voilà cette saison en Ligue 2 où il fait bonne impression. « J’étais un peu la surprise de ma formation. Personne ne se disait que je deviendrais arbitre. C’est une fonction compliquée mais c’est plaisant. On est toujours titulaire (rires). Je me sens plus responsable et ça me plaît. Je me sens plus fort, sans faire de zèle. Je suis le garant du match, du spectacle, des joueurs. Alors qu’avant je me disais : « l’arbitre on n’en a pas besoin ». Et puis maintenant on m’appelle Monsieur l’arbitre (rires). » Angoula pourrait bien faire naître des vocations chez des joueurs qui pensent désormais à leur reconversion. Embrasser ce métier n’entrait pas vraiment dans les objectifs d’après-carrière. « Je comptais bosser pour une boîte dans laquelle j’ai des parts. Les plans ont changé. »
Stinat : « arbitrer, c’est surtout gérer des joueurs et des comportements »
Pour Jérémy Stinat en revanche, c’était une évidence. Très tôt durant sa carrière de joueur, il pense à se reconvertir un sifflet à la bouche, les cartons dans la poche. « J’avais 22/23 ans. Suite à un match que je jouais, ça s’est assez mal passé avec l’arbitre. Après ça, je me suis dit pourquoi pas devenir arbitre à la fin de ma carrière. J’ai mûri ça et lors de ma retraite, j’ai tout de suite enclenché. » Son contrat à Laval terminé, il prend immédiatement le pli, à 32 ans. 15 jours plus tard, il est déjà de retour sur un terrain en District à diriger son premier match. « J’ai été catastrophique. J’ai tout sifflé à l’envers. Je ne savais pas me placer. Je ne comprenais pas ce qu’il fallait que je fasse, où me placer, comment signaler, comment gérer et anticiper les problèmes. Je ne savais rien faire », se souvient-il un peu amusé.
Une expérience bénéfique puisqu’aujourd’hui, c’est en Ligue 1 qu’il officie. S’il s’agit de rattraper son retard pour ce qui est des lois du jeu, le passé d’ancien joueur peut également être une force. La communication, le ressenti, la lecture du jeu, le discernement sont autant d’éléments à faire valoir pour leur permettre de mieux interpréter certaines situations. « Arbitrer, c’est surtout et essentiellement gérer des joueurs et des comportements. Les fautes, je pense que tout le monde peut les juger, faute, pas faute, grosse faute. La gestion des joueurs, c’est ce qu’il y a de plus délicat. C’est manager des acteurs, faire en sorte que tout se passe bien, plus que le caractère technique de l’arbitrage », affirme celui qui a porté les maillots de Valence, Grenoble, Sedan et donc Laval.
Accepter son nouveau statut
Finalement l’autre principale difficulté résulte dans le changement de costume. « Il faut accepter les codes de la fonction », tranche l’ancien arbitre international Alain Sars. Oublier son passé de joueur tout en réussissant à s’en servir n’est pas chose aisée. Il s’agit de garder la distance nécessaire pour rendre la meilleure décision qui soit, surtout quand d’anciens collègues sont présents sur la pelouse. « C’est délicat, déjà pour se dire bonjour. On le fait discrètement. Sur le terrain, on les vouvoie alors qu’on se tutoie tout le temps. On est d’ailleurs plus vigilant car ces joueurs-là peuvent se permettre des choses que d’autres ne se permettraient pas », précautionne Stinat. Preuve en est avec Angoula. « Quand je mets un jaune à Cahuzac à Lens (face à Auxerre le 21 octobre dernier), c’était mon partenaire pendant 3 ans. Il n’est même pas surpris. Il sait que je suis là pour ça. »
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