L’accueil, à Dakar, de Cheikh Sharifou a été princier. Dans un stade comble, un fauteuil doré, en style Louis XV revisité, l’attendait tel un trône, sur l’es-trade dressée au centre de la pelouse. Et quand Cheikh Sharifou est apparu, la foule l’a acclamé en scandant à l’unisson «Allahou Akbar» (Dieu est grand). Cheikh Sharifou n’est pourtant qu’un petit musulman de 5 ans. Mais il est considéré comme un enfant prodige.
«Il a prononcé le nom de Dieu à sa naissance, il s’est sevré lui-même à 2 mois et a récité le Coran à 4 mois», affirme Latif Guèye, qui a présidé à l’organisation de la visite au Sénégal du jeune Tanzanien. Et cela n’est pas tout. Outre le swahili, qui est sa langue maternelle, ce garçonnet qui n’est jamais allé à l’école parle couramment, assure-t-on, le français et l’anglais. Auréolé de tous ces dons, Cheikh Sharifou sillonne maintenant l’Afrique pour prêcher le «retour à Dieu». Après la Libye, le Bénin et la Côte-d’Ivoire, il est venu il y a dix jours au Sénégal, où la population est à 90% musulmane. Et il était très attendu. Avant même qu’il ne pose le pied sur le sol sénégalais, la presse en avait fait un événement.
Coups de ceinture. Quand le grand jour est arrivé, quand les Dakarois ont enfin pu aller voir de leurs propres yeux l’enfant, la tension était forte au stade Iba Mar Diop, rempli de quelque 12 000 personnes. La foule, un peu énervée par l’attente, se met tout d’abord à huer des femmes entrant tête nue, puis s’agite fiévreusement sous un soleil de plomb. Les forces de l’ordre assènent alors des coups de ceinture à toute volée.
Après l’arrivée de Cheikh Sharifou, coiffé d’un turban rouge et blanc à carreaux, et vêtu d’une djellaba mauve et d’un caftan noir, les esprits finissent par se calmer. La communion devient totale au moment où le petit prodige commence une prière. Alors, tous les spectateurs ainsi que les policiers et les soldats se lèvent, les mains tendues. Cheikh Sharifou s’exprime en arabe. Il déclame, de sa voix aiguë, des sourates du Coran. «Craignez Dieu; craignez le jour du Jugement dernier», dit-il. Et, pour que tous les Sénégalais comprennent, car rares parmi eux sont ceux qui maîtrisent l’arabe, ses propos sont traduits en wolof. Très à l’aise. A l’évidence, ce garçonnet qui a grimpé sur le fauteuil pour faire oublier sa petite taille est à l’aise face au public. Il tient le micro de sa main gauche et tend son bras droit en pointant un doigt vers le ciel pour mieux haranguer le public. Il ne semble nullement impressionné par la présence à ses côtés des imams de la grande mosquée de Dakar et d’Abidjan, et d’un dignitaire religieux mauritanien. De son côté, Latif Guèye, qui anime la manifestation, a exprimé tout son contentement.
«Cette foule est la meilleure réponse aux supputations. Elle est la preuve que nous croyons en Dieu, et Cheikh Sharifou est l’un des signaux les plus forts en ce millénaire finissant, une annonce pour le prochain.»
Sceptiques. Toutefois, si la prestation de seulement cinquante minutes du jeune prédicateur, qui a été retransmise en direct par la télévision et la radio nationales, a enflammé les organisateurs et le public, elle a laissé des sceptiques. «Sharifou est enfermé dans les prêches. Il n’est pas polyglotte et n’échange toujours pas ses vues», titrait, le lendemain, le quotidien Sud.
Car Cheikh Sharifou s’est contenté de réciter des sourates du Coran, ce qu’un enfant de son âge est tout à fait capable de faire. Et il n’a pas démontré, contrairement à ce qu’affirmait l’un des membres du comité d’organisation, qu’il avait «une compréhension claire des Saintes Ecritures, du Coran comme de la Bible». Quant à ses connaissances linguistiques, il a juste dit en français: «Il faut dire comme ça», avant de poursuivre sa psalmodie du Coran.
Pas une fois, lors de sa visite de quatre jours, les journalistes n’ont été autorisés à l’approcher pour lui poser des questions. Des érudits sénégalais n’ont d’ailleurs pas hésité à parler d’«arnaque» et de «manipulation». Mais alors, pourquoi Cheikh Sharifou a-t-il suscité un tel engouement au Sénégal, pays qui ne se distingue pas par un fanatisme religieux? Un psychologue, Serigne Mor Mbaye, avance une explication. «Le phénomène Sharifou est, dit-il, le signe d’une société en crise.
La vie est tellement pleine d’incertitudes que les gens ont besoin de prophètes, de miracles.» Et un commentateur, Vieux Savané, rejoint cette analyse. Il décèle «la peur d’un face-à-face d’une société avec elle-même, toujours prête à aller chercher ailleurs, autrement que par son énergie propre, des solutions à ses malheurs».
Reste que tous ceux qui espéraient un miracle doivent digérer leur déception. Ils n’ont pu toucher l’enfant, seuls quelques jeunes ont réussi à poser la main sur le fauteuil où l’auguste invité s’était assis dans le stade. Celui qui, selon une haute autorité religieuse du pays, le calife général de la confrérie des Tidianes, «n’est pas un enfant ordinaire mais un « kilifa, une merveille de Dieu».
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