De retour au pays depuis deux mois, après un séjour en Allemagne pour des soins médicaux, le rappeur et activiste Abdou Karim Guèye, plus connu sous le nom de Karim Xrum Xax est encore prêt pour le combat citoyen. Sa maladie, son évacuation sanitaire en Allemagne, l’argent proposé par la Première dame, Marième Faye Sall, la volonté du Président Sall de briguer un troisième mandat, le silence des leaders de l’opposition. Karim a le flow en feu.
Vous avez été évacué en Allemagne il y a quelques mois dans un état assez critique pour des soins médicaux. Comment vous portez-vous aujourd’hui ?
Je rends grâce à Dieu. C’était écrit, je devais vivre ce moment et je l’ai vécu. C’est une maladie comme toute autre. J’ai été malade, comme il arrive à tout le monde de tomber malade.
De quoi est-ce que vous souffriez ?
Je ne peux pas entrer dans les détails.
Selon des indiscrétions, vous avez été atteint mystiquement. Qu’en dites-vous ?
Ce sont de simples spéculations. Je ne crois pas à ces histoires. C’était une maladie comme une autre. Je suis croyant et cette maladie c’est la volonté divine. Et non celle de personne d’autre.
Vous continuez des traitements ?
Oui. Je continue mes traitements, par la grâce de Dieu.
Au Sénégal ou en Allemagne ?
Pour le moment, je continue de me soigner au Sénégal. Mais il y a d’autres soins qui nécessitent que je me rende à l’étranger. Mais je ne suis pas encore reparti. Je suis rentré au Sénégal depuis 2 mois.
Au moment de votre évacuation sanitaire vers l’Allemagne, il y a eu une grosse polémique autour d’une somme de 100 millions FCfa que la Première dame, Marième Faye Sall, aurait voulu vous remettre. Qu’en est-il ?
J’étais gravement malade. Mais j’étais très lucide. Ma femme m’a expliqué la situation. Elle m’a dit que plusieurs personnalités ont proposé leur soutien. Il n’y avait pas que Marième Faye Sall. Elle m’a parlé de beaucoup d’autres gens. Je lui ai répondu que je ne voulais recevoir aucune personnalité du régime, encore moins leur aide. Mais le professeur Tounkara est venu me rendre visite. Il m’a proposé de préparer les dossiers nécessaires en vue d’une évacuation. J’ai décliné son offre.
Pourquoi n’avez-vous pas accepté le soutien de la Première dame, alors que vous étiez très mal-en-point ?
Parce qu’il y a des Sénégalais qui en avaient plus besoin que moi. Dans cet hôpital où j’étais admis, il y a des patients plus souffrants que moi et ils n’ont pas eu ce privilège-là. En plus, tout cet argent (les 100 millions FCfa) aurait pu servir à beaucoup d’autres choses. A des projets qui profiteraient à tous les Sénégalais, plutôt que de le mobiliser pour ma simple personne.
Qui a pris en charge votre évacuation ?
Ce sont les Sénégalais qui ont assuré ma prise en charge.
Comment ?
Des amis activistes établis en Europe comme Mbayang Dramé, ont initié une collecte d’argent. Des Sénégalais ont cotisé pour mon évacuation. Tous les Sénégalais d’ici et de la diaspora m’ont aidé à recouvrer la santé.
Comment avez-vous accueilli cet élan de solidarité?
J’en ai tiré plusieurs leçons. D’abord que les Sénégalais ont de l’estime pour moi. Cela m’a permis aussi de savoir que les Sénégalais ont maintenant compris que notre combat, c’est pour le peuple. Les Sénégalais ont longtemps été bernés par des gens qui s’autoproclamaient activistes, alors qu’au fond, ils étaient motivés par des ambitions cachées. Les gens nous font confiance. Ils ont compris que nous ne sommes pas ces genres d’activistes, pour avoir été témoins des tentatives de corruption du pouvoir. Leur assistance m’incite à être plus ferme dans le combat de tous les jours.
Est-ce que c’est le même Karim qui va poursuivre le combat, avec la même énergie, ou êtes-vous rentré d’Allemagne un peu diminué et obligé de vous ménager ?
Je suis plus déterminé que jamais. La lutte va continuer. Pour prouver qu’elle va s’accentuer, le mouvement «Nittu Deug» va mettre sur pied une plateforme dénommée «Tey la Walo gueune aay». Nous allons remettre sur la table le dossier du pétrole. Parce que nous devons être édifiés sur les malversations de Alioune Sall concernant notre pétrole. Nous allons aussi parler du fichier électoral. Ce sont nos deux combats. Nous sommes en discussions avec d’autres mouvements.
Lesquels ?
Je ne peux pas citer pour le moment des noms. Je n’ai pas encore l’accord de principe de certaines organisations. Je suis en train de prendre langue avec certains.
Comment perceviez-vous l’actualité sénégalaise lorsque vous étiez l’étranger ?
Je suivais. J’ai même fait des «live (directs)» via les réseaux sociaux. Ce que je retiens en somme, c’est que nos autorités sont en train de nous rouler dans la farine. Elles cherchent toujours à éloigner l’opinion sénégalaise du vrai débat. Au lieu d’éclairer notre lanterne sur les deals autour du pétrole, les autorités nous parlent de troisième mandat ou de Coronavirus. Elles nous parlent du Coronavirus dans un pays où des femmes meurent encore en couche, faute de produits sanitaires basiques. Combien d’enfants décèdent du paludisme ? Combien de structures sanitaires de l’intérieur du pays ne disposent pas d’ambulance ? Combien de localités ne disposent pas de centres médicaux ? Il y a plein de manquements dans la politique sanitaire nationale que l’Etat doit combler. Les premières puissances économiques peinent à vaincre la maladie. Comment un pays qui a système sanitaire faible comme le Sénégal va-t-il la circonscrire ? Je suis convaincu que les milliards FCfa détournés par certaines personnes comme Alioune Sall et d’autres épinglés par les rapports des corps de contrôle peuvent permettre de combler ces déficits.
Avez-vous rencontré Guy Marius Sagna depuis sa sortie de prison ?
Non, pas encore. Mais nous sommes en contact téléphonique permanent. Guy Marius, c’est un frère. Nous ne sommes plus uniquement liés par l’activisme. D’ailleurs, nous devons nous voir aujourd’hui (hier).
Vous avez des projets ensemble ?
Oui. Nous sommes sur plein de choses.
Comme quoi ?
Des projets qui portent sur nos combats pour le peuple. Comme on a l’habitude de le faire.
Comment analysez-vous la polémique qui a suivi la libération de Guy Marius Sagna, avec la fameuse demande de liberté provisoire introduite par Me Amadou Sall ?
Guy Marius Sagna a été arrêté parce qu’il gênait le pouvoir. Les autorités étaient donc obligées de le libérer. Pourtant les pros Alioune Sall ont fait la même chose. Quand Macky Sall a déclaré que Aliou Sall ne pouvait pas être député à l’Assemblée nationale, ses proches sont allés manifester devant le Palais. Ils n’ont pas été inquiétés. Pourquoi Guy Maruis Sagna n’a-t-il pas le droit de manifester ? C’est honteux. Cela prouve qu’une injustice totale règne au Sénégal. Le pouvoir exécutif piétine le pouvoir judiciaire. Les manifestants qui ont été interpelés en même temps que lui, pour les mêmes faits et sur le même lieu, ont été libérés depuis longtemps. Cela montre que c’est l’homme qui dérange.
Est-ce que ce n’est pas parce qu’il était tout aussi gênant en prison, du fait du tollé que son emprisonnement a créé, qu’il a été libéré ?
Il a été libéré grâce à Barthélémy Dias. Il a été très franc et sincère dans son discours, demandant à l’Eglise sénégalaise et au Vatican de se prononcer sur le cas de Guy Marius Sagna. Il a été libéré en raison de cette tournure religieuse qu’avaient prise les choses. La pression qui a libéré Guy Marius Sagna est partie de la déclaration de Barthélémy Dias.
Macky Sall fait toujours dans le clair-obscur concernant la question du troisième mandat. Que pensez-vous de sa posture sur ce sujet-là ?
Nous sommes en train de monter des projets qui comportent, entre autres points, cette question du troisième mandat. Macky Sall va nous édifier sur ce sujet. Ce sont les Sénégalais qui l’ont mis là où il est. Nous n’avons aucune inquiétude par rapport à cela. Il ne va pas réussir ce que son père, Abdoulaye Wade, n’a pas réussi. Nous avons barré la route à son père, il ne peut pas nous poser problème.
L’opposition semble avoir baissé la garde. Nombre de manifestations sont organisées aujourd’hui par la Société civile. Qu’en pensez-vous ?
En réalité, il n’existe qu’un seul leader politique opposant au Sénégal, c’est Ousmane Sonko. Tous les autres sont dans le système. Ils ont tous acquis des milliards FCfa, ont bâti de luxueux immeubles et vivent dans leur tour d’ivoire. Ils ont tous été au Pouvoir et ont participé à la dilapidation des fonds publics. Pour moi, il n’y a que Pastef/Les patriotes comme parti d’opposition au Sénégal.
Et les autres leaders comme Idrissa Seck, Malick Gakou…?
Je ne les considère même pas. Je trouve qu’eux et Macky Sall sont pareils.
Ils sont considérés comme des ténors. Comment pouvez-vous dire qu’ils n’incarnent pas l’opposition sénégalaise ?
Je me répète, le Sénégal ne compte qu’un seul leader engagé, c’est Ousmane Sonko. Parmi tous ces soi-disant leaders de l’opposition, qui fait des sorties pour dénoncer les agissements de Macky Sall ? Ils ont tous été ministre, directeur ou député etc. Après s’être bien rempli les poches, ils se retirent du pouvoir pour monter un Qg, pour se dire opposants, dans le seul but de leurrer les Sénégalais.
On vous accuse, Guy Marius Sagna, vous et d’autres activistes, de faire de rouler pour Ousmane Sonko. Que répondez-vous?
On entend tout le temps ce type d’accusation, mais on ne roule pas pour Sonko. On fait de la politique, mais pour les Sénégalais. On ne se bat pas pour telle ou telle autre personne. On se bat pour le Sénégal, qui a besoin d’un leader comme Ousmane Sonko. C’est ce que Guy Marius Sagna a compris. Moi aussi. On n’a pas choisi la personne parce qu’elle a de l’argent à nous donner, mais parce que nous fondons beaucoup d’espoir en elle.
La lutte pour la préservation des valeurs a une place importante dans le programme de votre mouvement, «Nittu Deug». Macky Sall a fait savoir au Premier ministre canadien, Justin Trudeau, que le Sénégal n’approuve pas l’homosexualité. Vous êtes, au moins, pour ce coup-là , en phase avec le chef de l’Etat ?
Le président de la République s’est exprimé en français et en wolof. Il a tenu un discours nuancé. Il s’est placé au juste milieu. Il ne veut pas causer du tort aux Sénégalais, il ne souhaite pas non plus fâcher les Occidentaux. Il laisse toujours une brèche ouverte. Et elle peut être analysée comme une note d’espoir pour les Occidentaux. Qu’il est possible qu’un jour, le Sénégal légalise l’homosexualité. Il devait être ferme, malheureusement il ne l’a jamais été.
Etre ferme, en quoi faisant ?
Puisque c’est le parti au pouvoir qui détient la majorité à l’Assemblée nationale, il devait faire en sorte que l’homosexualité soit criminalisée, comme au Cameroun. Mais ce qui est sûr, c’est que Macky Sall n’est pas encore prêt pour criminaliser l’homosexualité. S’il en avait la volonté, il allait le criminaliser, comme il l’a fait avec le viol. Il doit passer à l’acte pour convaincre les Sénégalais.
Est-ce que cette nuance n’est pas motivée par une volonté de préserver les intérêts du Sénégal à l’international ?
L’intérêt du Sénégal à international, c’est l’intérêt de Macky Sall. Ce n’est pas l’intérêt du peuple. Les prêts contractés par nos autorités sont payés par les Sénégalais. Les gens sont fatigués. La plupart des familles n’ont aucune activité génératrice de revenus. Au moment où des enveloppes bourrées de millions sont remises à des célébrités. Qu’est-ce que le Sénégalais lambda tire de cette coopération internationale ? Tout est confiné entre les mains des Occidentaux. Eiffage, Orange, même l’affermage de l’eau revient maintenant aux Français. Ces multinationales ne sont là que pour elles. Ce qui importe, c’est une gestion claire et transparente de notre pétrole et de nos ressources minières. Que ceux qui les détournent pour s’enrichir sur le dos des Sénégalais soient épinglés, appréhendés et mis en prison, pour qu’ils rendent.
AIDA COUMBA DIOP
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