De nouveaux affrontements ont opposé, mardi, l’armée éthiopienne et les forces régionales du Tigré. Après des années de tensions entre le gouvernement central et la province du nord du pays, l’escalade guerrière suscite des craintes pour la stabilité de la région. France 24 revient sur les causes et les répercussions possibles de ce conflit.Une escalade militaire qui inquiète.
Dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, le gouvernement a lancé des frappes contre les autorités régionales accusées d’avoir mené des attaques visant deux bases militaires fédérales. Des accusations démenties par les intéressés, qui s’estiment injustement visés par le pouvoir.
Si le déclenchement de cette mission militaire d’envergure, début novembre, a surpris de nombreux observateurs, les tensions entre le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qui dirige cette région septentrionale, ne datent pas d’hier.
Le TPLF accuse Abiy Ahmed, élu Premier ministre en avril 2018, d’avoir, depuis sa prise de pouvoir, cherché par tous les moyens à réduire l’influence des dirigeants tigréens en les écartant du gouvernement et en multipliant les procès en corruption. Ils voient également d’un mauvais œil l’accord de paix signé avec l’Érythrée voisine par le nouveau Premier ministre, trois mois après son arrivée au pouvoir et qui lui a valu le prix Nobel de la paix en 2019.
“Les Tigréens ont dirigé le pays de 1991 à 2018 et ils étaient en première ligne dans la guerre contre l’Érythrée, avec qui ils ont des rivalités territoriales historiques”, explique Gérard Prunier, ancien chercheur au CNRS, spécialiste de la Corne de l’Afrique et des Grands Lacs, contacté par France 24. “Aujourd’hui, ils se sont repliés dans leur région mais voient le gouvernement central comme un ennemi.”
Bras de fer politique
Un autre événement, survenu en septembre 2020, a contribué à cette escalade. Le Tigré a défié le pouvoir central en organisant des élections malgré l’interdiction décrétée par le pouvoir à cause de la pandémie de Covid-19. “La Constitution accorde beaucoup d’autonomie aux régions, et même la possibilité de faire sécession. Mais il y a un protocole à respecter et certaines obligations demeurent vis-à-vis du pouvoir central, comme celle d’obtenir l’autorisation d’organiser des élections. Nul doute que ce scrutin a joué un rôle majeur dans l’escalade des tensions”, estime Gérard Prunier. Le gouvernement du Tigré a depuis été dissous par le parlement éthiopien.
Pour William Davison, analyste à l’International Crisis Group interviewé sur France 24, le conflit entre le gouvernement central et le Tigré reflète une problématique politique plus large : “Il y a un affrontement idéologique sur la manière dont l’Éthiopie devrait se définir, sur la répartition du pouvoir entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux”.
Le risque de guerre civile
Si les Tigréens ne représentent que 6 % de la population, c’est l’une des provinces les plus militarisées du pays. “Ils occupaient une place très importante dans le commandement de l’armée centrale. Après avoir quitté le pouvoir, on estime qu’un tiers des officiers et la moitié des soldats sont retournés au Tigré en emportant leurs équipements militaires avec eux”, précise Gérard Prunier. “L’armée du Tigré est aujourd’hui dirigée par l’ancien chef de la guérilla Tsadkan Gebre Kidan, qui a combattu les Russes et est extrêmement aguerri, les forces du gouvernement central auront bien du mal à les faire plier”, juge-t-il.
De son côté, le Premier ministre Abiy Ahmed fait preuve d’un optimisme à toute épreuve, qualifiant la mission militaire contre les bases du Tigré d’”opération du maintien de l’ordre” qui sera “terminée sous peu”. Le gouvernement compte notamment sur l’implication de la région Amhara, frontalière du Tigré, réputée puissante et hostile à son voisin. En parallèle, des mouvements de troupes ont été signalés dans la région Afar, autre voisin du Tigré considéré comme un de ses alliés potentiels. “Le gouvernement éthiopien s’est lancé dans une entreprise très risquée”, s’inquiète David Ambrosetti, chercheur au CNRS, interviewé sur France 24. “Le recours aux forces régionales laisse craindre un conflit de temps long qui pourrait s’étendre à l’ensemble du territoire”.
Vers une crise régionale ?
Face à l’escalade militaire, des observateurs s’inquiètent des potentielles répercussions régionales du conflit en Éthiopie, notamment vis-à-vis de l’ancien ennemi érythréen. “L’accord de paix avec l’Érythrée est un accord de façade conclu sous la pression américaine”, estime Gérard Prunier. “La rivalité avec le Tigré est intacte et l’Érythrée pourrait profiter de l’occasion pour attaquer elle aussi la province.”
Pour William Davison, s’il est difficile d’affirmer à ce stade que le conflit peut s’étendre au-delà des frontières, le risque pour la région est bien réel : “Le rapport de force nous laisse croire que la victoire militaire rapide espérée par le Premier ministre n’arrivera pas. Outre la potentielle implication de l’Érythrée, le conflit pourrait avoir un fort impact sur le Soudan, qui constitue une route d’approvisionnement vitale pour le Tigré. Un enlisement peut faire craindre une crise migratoire déstabilisatrice pour la région”. Un exode qui aurait déjà débuté, selon les autorités soudanaises qui ont indiqué, mardi 10 novembre, que des milliers de réfugiés éthiopiens avaient déjà traversé la frontière avec le Soudan.
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