Véritable art chez beaucoup de jeunes femmes, le Mbarane est une activité très lucrative au Sénégal. Mais il est décrié, d’aucuns l’assimilent à de la prostitution déguisée.
Ce soir, Léna est sur son trente et un. C’est l’anniversaire de sa fille. Et elle n’a pas lésiné sur les moyens pour lui offrir une fête digne d’une princesse. Petits fours, gâteaux, jus de fruits, crêpes, brochettes de viande, gadgets pour enfants, poupées, vélo, vêtements neufs: rien n’est trop beau pour sa fillette adorée.
Elle n’en a certes pas les moyens, mais elle a pu compter sur l’appui financier de ses quatre «champions», comme elle surnomme malicieusement ses amants. Pour cette jeune maman de 25 ans, divorcée de surcroit, c’est l’occasion rêvée de leur «couper la tête». Terme qui signifie plumer un gogo!
Le seul hic, c’est que ses amoureux risquent de se retrouver ensemble à la fête. Mais, elle ne panique pas, elle garde son calme. Et nous lance, d’un ton coquin: «J’en ai l’habitude. Je gère!». Elle a pris toutes les précautions d’usage et n’a surtout pas oublié d’enterrer, tôt le matin, du sel, histoire de conjurer le mauvais sort.
«Je n’avais pas le choix. Il fallait qu’ils soient tous là parce que chacun d’entre eux a apporté sa contribution», observe-t-elle.Experte dans l’art du mbarane, Léna aime à se démarquer des autres adeptes de cette pratique qui consiste à multiplier les amants au compte en banque bien garni. Et ne se considère pas comme une prostituée.
A l’en croire, c’est sa chance si les hommes lui offrent gracieusement leurs biens. Comme le dit un adage bien de chez nous, damay lekk sama niak botaye(qui signifie en wolof, la chance, la baraka de sa mère).
Le phénomène est devenu banal aujourd’hui. Toutes les jeunes Sénégalaises ou presque s’y adonnent, car la pratique rapporte gros. Le principe est simple: multiplier les conquêtes amoureuses pour amasser le plus de biens matériels.
En outre, quoi de plus valorisant pour une fille que d’étaler au grand jour sa capacité à ferrer des hommes? Ordinateurs portables, cheveux naturels à 600 euros, frais d’études et d’appartements; tout y passe.
Mais seulement, dans ce jeu, c’est du donnant-donnant. Prêtes à tout pour se faire entretenir, les mbaraneuses n’hésitent pas à offrir gracieusement mots doux, caresses, et bien plus encore.
Et souvent sous l’œil complice de parents, qui en tirent grand profit, car l’argent récolté servira soit au paiement des factures, soit aux dépenses quotidiennes, véritable casse-tête pour les «goorgoorlous» (les débrouillards).
Mbaraneuse par dépit amoureux
Beaucoup de sociologues se sont penchés sur ce nouveau phénomène. Ils sont quasi unanimes à penser que la pauvreté serait l’une des principales causes de la pratique.
Un petit tour au quartier du Grand Dakar, dans la capitale du même nom au Sénégal, nous donne un tout autre aperçu de la question. A chaque mbaraneuse, son modus operandi.
En débarquant dans le quartier, on vous conduit directement chez Mamie, un nom d’emprunt.
Elle est bien connue ici Mamie, c’est un peu la star du coin. Beyoncé pour certains, Viviane Ndour (célèbre chanteuse sénégalaise) pour d’autres, on l’affuble de toutes sortes de noms de starlettes du showbiz.
e tout bon Sénégalais, Mamie est une véritable bombe. Ses déhanchements lascifs font fantasmer tous les hommes du quartier et suscitent la jalousie des autres femmes. Et sa liste des prétendants est longue, très longue même. «Je ne repousse personne, pourvu que tu puisses m’apporter quelque chose», explique-t-elle.
Orpheline très tôt, jeune maman à l’âge de 17 ans, Mamie s’adonne à la pratique du mbarane depuis plus de dix ans.
«A 17 ans, je me suis retrouvée enceinte. Cet homme, dont j’étais très amoureuse, a refusé la paternité de cet enfant. J’avais d’énormes difficultés pour m’en sortir. Et de plus, j’ai eu le dégoût des hommes. Je me suis dit que c’était à mon tour de me jouer d’eux.
Dague bopp bi rek (couper la tête)», confie la jeune fille, avec une once de rancœur. Ses amants, —pour la plupart des hommes mariés—, se montrent très généreux envers elle. Ils lui offrent bijoux en or, argent, robes et autres cadeaux.
«Grâce à l’argent qu’ils m’offrent, j’ai pu reconstruire notre maison familiale.
J’ai acheté deux taxis qui circulent à mon compte et j’ai pu également ouvrir ma boutique de cosmétiques. J’ai pensé à investir cet argent parce que je sais que la beauté est éphémère et qu’ils vont tôt ou tard me tourner le dos», calcule-t-elle toutefois.
Pour le moment, Mamie ne pense pas à se caser et compte profiter au maximum de ses bienfaiteurs.
Voir un Toubab et sourire
«Soda est partie en Italie. Je viens de voir sa sœur qui me l’a dit. Elle a fait la rencontre d’un Toubab qui l’a amené en Europe», se précipite de venir rapporter une copine de Mamie. Cette dernière, réputée pour être la commère du coin, porte le sobriquet de «RFI». «Elle sait tout ce qui se passe dans le quartier», taquine son amie, le regard un peu triste. «Elle en a de la chance, la veinarde!», s’exclame Mamie qui rêve d’aller vivre en Europe.
D’après la conversation des amies, Soda aurait décroché le jackpot. Elle a réussi à mettre la main sur un généreux Toubab, nom familier en Afrique par lequel on désigne un blanc. Le toubab lui a ouvert les portes de l’Eldorado.
Même si les femmes sont désignées comme étant les principales responsables de ce phénomène, il arrive que les hommes se prêtent malicieusement au jeu de ces femmes fatales. Amadou est un jeune cadre dans une prestigieuse banque de la place.
Marié et père de deux enfants, il aime passer du bon temps avec son «second bureau», pour désigner sa maîtresse, sans être inquiété dans son ménage.
«Je sais très bien qu’elle ne m’est pas fidèle. Mais je m’en fiche. L’important pour moi c’est que je puisse tirer un bon coup. Tant que je continuerai à lui donner de l’argent, elle ne se plaindra jamais. Cela ne la dérange pas du tout d’être une maîtresse. Et c’est ce qui m’arrange. Elle ne m’appelle ou m’envoie de sms qu’à des heures où elle est sûre que je suis chez moi», indique-t-il.
Dans cette relation qui dure depuis 7 mois, chacun y trouve son compte. A l’en croire, il faut juste en mettre plein la vue aux mbaraneuses puisqu’il n’y a que le matériel qui compte à leurs yeux.
«Ce sont elles les plus grosses perdantes dans cette histoire, parce que moi, de l’argent, je peux toujours en avoir», se gausse-t-il. Finalement, tout le monde trouve son compte dans le mbarane et la pratique semble avoir de beaux jours devant elle.
Lala Ndiaye
Dakarflash
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