Le dernier entretien de Diary Sow : « je me sens habitée par l’esprit de plusieurs personnages »

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Vous êtes l’auteur du livre Sous le visage d’un agnge publié aux éditions l’Harmattan Sénégal. A quel âge avez-vous écrit ce livre, quelle a été votre inspiration ? Qu’est-ce-que vous vouliez montrer à travers ce l’écriture livre ?

Je me suis jetée dans l’écriture trés tôt, sans cier gare, à corps perdu, sans vraiment avoir appris. Je lisais beaucoup et il m’arrivait de réécrire la fin des livres qui me décevaient, ma frustraient ou me laissaient sur ma faim. J’étais trés jeune, à peine dix ans, mon écriture n’était pas forcément excellente ou cohérente. Je gardais mes écrits pour moi. Je prenais beaucoup de plaisirs à inventer ces histoires qui ne résonnaient qu’en moi. J’avais l’impression de détenir un secret. Puis j’ai voulu quelque chose de nouveau. Des personnages qui ne seraient rien qu’à moi, dans des histoires qui lme donneraient pleine satisfaction. Trés vite, ils sont devenus vivants, dans ma petite bulle d’adolescente, s’invitant dans mon quotidien. Et ces amis, dont je savais tout, me réclamaient une aventure bien menée, se bousculaient dans ma tête et ne demandaient qu’à en sortir. J’ai compris ce qu’ils voulaient : prendre vie dans l’imaginaire d’autres personnes. Le mien ne leur suffisait plus. Alors j’écris. Les mots jaillissent à l’improviste, entre deux cours de maths et un exercice de physique, intérieus à ma sensibilité. Comme l’urgence d’une respiration haletante. J’écris pour partager, pour donner satisfaction aux acteurs de mes histoires. Je suis parvenue à donner vie à certains, dans mon premier roman. Mais les autres s’impatientent, jaloux. Tout être humain a besoin d’une façon de s’exprimer, d’extérioriser ses émotions, de ommuniquer ses pensées. C’est ce que, tout d’abord, l’écriture est pour moi. Une façon de dire « voilà ma façon de voir les choses, me voici, sans masques, sans fioritures, sans contradictions, sans parenthèses. Toute entière.>>

Vous avez été pendant deux années consécutives, lauréate de la meilleure élève du Sénégal au concours général, vous êtes scientifique de formation. Très jeune, vous publiez ce livre, parlez-nous succintement de votre parcours. Quel a été l’élément déclencheur entre vous et la lecture ?

Il a toujours été évident que j’aimais lire. Mes parents l’ont su quand ils m’ont vue lire tout et n’importe quoi : affiches, journeaux, livres de contes et plus tard, romans, recueils de poèmes et autres livres plus académiques. Assez curieusement, il n’y a pas eu, pour moi, de véritable déclic. Je lisais, comme tous les enfants qui lisent, tout simplement par ce que j’aimais cela, que ça satisfaisait ma curiosité. J’étais loin de me douter que ce que je prenais pour un divertissement, un exutoire efficace à l’ennui allait changer ma vie. La lecture, je le sais par expérience, est d’une importance capitale. Pour reprendre les mots d’une auteure : << Les livres m’ont ouvert le monde.>> J’en ai tiré une quantité de connaissances à différents niveaux. Je dois à mes lectures ma capacité imaginaire, la majeure partie de mon vocabulaire, ma compréhension verbale, ma capacité de déduction , de concentration, de rédaction, d’analyse et d’anticipation. Même mon amour pour la science. Il est clair que les livres ont joué un rôlr clé dans mon pacours scolaire. C’est de loin le meilleur investissement que mes parents ont pu faire dans mes études, au vu de ce qu’ils coûtent et de ce qu’ils m’ont rapporté.

Sous le visage d’un ange est un magnifique roman qui trace l’itinéraire d’une fille, Allyn qui a subi des sévices qui ont complétement dénaturé sa personne ? Pourquoi cet angle d’écriture. Une jeune fille de votre âge traiter d’un thème aussi sensible, qu’elle est la motivation ?

Il faudrait savoir que je n’ai pas choisi délibérément les thèmes de mon livre : ils se sont imposés à moi, à certaines étapes de l’écriture. Quand il fallait expliquer un comportement, justifier une phobie, sonder un personnage, ajouter une piéce explicative dans le puzzle. Tout s’emboîte alors et forme un tout cohérent. Ce serait unraccourci, une facilité de ma part que de dire que ma volonté était de changer les choses. Mais je n’ai pas hésité à parler de sujets sensibles. Toutes ces injustices justement dont personne ne parle. Par ce que c’est tabou. Par ce que on a peur. Par ce que c’est commeça. Comme je l’ait dit un peu plus haut, on pourrait énumérer de multiples raisons d’écrire. Comprendre, voyager, sortir de sa bulle, apporter l’espoir, changer les choses, oublier son monde, s’évader, amuser ou émouvoir, laisser quelque chose de soi…Il y a qui écrivent pour eux mêmes et ceux qui le font pour les autres. Mais la raison première, à mon avis, c’est qu’on a quelque chose à dire, à partager avec le reste de l’humanité. Avec l’espoir qu’ils puissent en faire quelque chose. J’ai beaucoup hésité à écrire à la première personne. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai changé d’énonciation aprés le prologue du roman. La frontière est mince entre fiction et réalité et je ne voulais pas mener à confusion. Je ne désespère pas de voir tout cela s’arrager. Et si mon roman peut y contribuer, c’est tant mieux.

Le personnage complexe d’Allyn qui semble ne pas se comprendre elle-même. N’avez-vous pas eu de la peine à apprivoiser sa personnalité ?

J’ai dû traiter le personnage d’Allyn avec beaucoup de délicatesse. Je l’avoue : elle m’a donné du fil à retordre. Il fallait qu’elle soit forte mais assez fragile pour émouvoir. Il fallait qu’elle soit intéressée mais capable d’aimer un homme pour lui même. Il fallait qu’elle soit égoÏste, mais avec plein d’égards pour les autres. J’ai dû batailler pour ne pas tomber dans l’incohérence. Et je ne peux que m’estimer heureuse de l’avoir vu naître, sous ma plume.

Tout au long de votre livre, on sent une certaine pudeur que les mots dissimulent, quoi qu’ils n’enlèvent en rien la portée du message, êtes-vous de ceux qui pensent que même en écriture, la liberté doit tenir compte des réalités socio-culturelles ?

Sous le visage d’un ange est le miroir de mon inconscient, de mon expérience de vie et de culture. Il est le résultat de mon langage intérieur et mon mode d’expression « naturel » (si on l’on peut parler ainsi) pour véhiculer mes émotions. Il est donc logique qu’il reflète une certaine pudeur, inhérente à notre éducation traditionnelle sénégalaise. J’ai intériorisé, à mon insu, qu’il y a des choses qu’on ne dit pas, qu’on ne fait pas, qu’on garde pour soi. Mais cela ne signifie pas qu’un langage plus cru m’aurait choquée ou rebutée. Bien entendu, une telle appréciation es relative. Mais chaque époque et surtout chaque transition d’époques apporte son lot de surprises et je ne serais pas étonnée de voir apparaître dans notre littérature, plus de libertés et de délies.

Vous poursuivez un cursus d’ingénierie à Paris, peut-on s’attendre à une méthode qui vous sera propre et reconnue dans le monde scientifique ? Est-ce que vous réalisez que votre talent vous le permet ?

Une méthode particulière, oui, peut-être, par ce que j’associe toutes mes connaissances à ce que je fais. J’ai toujours été contre le clivage des domaines. J’aime autant la littérature que la science. Fondamentalement, je suis passionnée par l’une et l’autre. Cette polyvalence est ma force. Mon combat, même si je sais d’avance qu’il est risqué et périlleux, c’est de produire partout où mon potentiel me le permet. Ce qui est nécessaire et apparemment impossible, c’est de concilier un métier sécurisant, fixe, stable à d’autres activités. Je sais à quelles difficultés me livre mon choix, que certains pourraient peut-être juger puéril ou inconscient, mais j’ai bien l’intention d’exploiter toutes mes capacités. C’est dire que si je suis consciente de mes points forts, je n’oublie pas non plus mes faiblesses. Pour le moment, ce principe fonctionne pour moi et tant qu’il en sera ainsi, je continuerai de le clamer haut et fort et de l’appliquer quotidiennement.

<< Je suis contre la fuite des cerveaux >>

Qu’est-ce qui vous pousse à écrire et êtes-vous pour la fuite des cerveaux ?

Je suis évidemment contre la fuite des cerveaux. Par ce que c’est un fléau qui touche particulièrement notre pays et contre lequel tout le monde devrait s’activer. Nos rêves d’émancipation, de création, de développement, cette foule d’idées novatrices, le Sénégal en a besoin ! Ce sont les jeunes qui représentent l’avenir. Ce sont eux qui nourrissent nos espoirs. L’aventure du grand large, ça peut donner envie, mais il suffit de ne jamais oublier que là d’où nous venons, le peuple a besoin de nous et, au delà de nos compétences.

Parlons de votre style d’écriture. Nous voyons aujourd’hui de jeunes auteurs qui s’essaient en écriture. Comment avez-vous travaillé votre style et dites nous la durée d’écriture de votre roman ?

Le style, en littérature ( et cela tout le monde s’accorde à le dire) est un concept trés ambivalent, avec une ambiguÏté assez lourde. J e crois que chaque auteur, en tant qu’individu, a sa singularité, sa particularité propre. Ce quelque chose d’insaisissable qui fait de lui qui il est, avec sa propre façon de voir le monde. Je ne suis pas partisane d’un style en particulier, érigé en modèle absolu. Il y a des styles au pluriel. Et cela va sans dire que bien écrire ne relève pas toujours de l’académisme. Si le style ne s’est pas révélé pour d’autres, c’est qu’il attend un déclic, il sommeille. Mon roman, qui s’est esquissé dans l’intervalle de plusieurs années (trois ans ou même plus) porte mon empreinte, ma signature, liée à mon identité et je n’aurai pas la prétention de dire que cela lui vaudra son succés. Il vous a attiré, il peut repousser d’autres, selon leurs goûts. Je sais qu’avec l’âge, la maturité, les conventions, mon style va évoluer. Il peut se bonifier ou perdre sa fraîcheur. Il sera toujours possibles de la revoir, de le réinventer, de l’apprivoiser.

Quel est votre projet futur dans le domaine de la littérature ?

Je suis un individu. Je me définis en tant que tel, mais je me sens habitée par l’esprit de plusieurs personnages. Je me sens prête à leur donner vie. N’a-t-on pas d’ailleurs comparé plus d’une fois l’écriture à une parturition ? Il faut donner naissance à une oeuvre, à des êtres de papier qui ont tous quelque chose de nous, on s’éparpille en eux…Je suis de ces écrivains qui pensent qu’il y a toujours, forcément, une part de vécu, de ressenti, dans ce que nous écrivons. Et je demeurerai productive tant que la flamme sera vive en moi, tant que je pourrai avoir un apport à ce qui m’entoure, tant que ma sagesse personnelle sera assez intéressante pour être partagée. Et que mes personnages me feront voyager, me berceront et continueront de m’apporter enthousiasme et réconfort.

Pour ne pas rester évasive, je dirais que j’ai encore effectivement des projets de roman. Tous les lecteurs de « Sous le visage d’un ange » ont sans doute senti qu’il y avait une suite à l’histoire. C’est, à l’heure actuelle, ma priorité. Et je m’y consacre du mieux que je peux.

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