Dans cette affaire de meurtre, de surcroit d’un commandant de la gendarmerie, contrairement aux accusés inculpés, ce sont les gendarmes – parties civiles – qui ont été au centre des débats, hier, à la Chambre criminelle du Tribunal de Grande instance de Tamba. En effet, les gendarmes, suite au déroulement de cette intervention, ont été chargés par les avocats de la défense, notamment Me Abdoulaye Sène qui les accuse d’avoir abattu le commandant Tamsir Sané. A l’en croire, s’il était commandant de la gendarmerie, il allait porter plainte contre les gendarmes.
Le meurtre du commandant Tamsir Sané, dans la nuit du 25 au 26 juillet 2019, a été évoqué hier par la Chambre criminelle du Tribunal de Grande instance de Tambacounda où les accusés ont comparu pour association de malfaiteurs, tentative de vol en réunion avec usage de véhicule, effraction, port et usage d’armes et violences ayant entrainé la mort et des blessures. Il s’agit de Idrissa Sow alias Peul bou rafet, Kéroba Ba, Daouda Ba dit Sireye, Sidi Diallo, Pathé Ba et Khoureyssi Diallo, tous en détention préventive depuis août 2019, à l’exception de Khoureyssi Diallo et de Pathé Ba qui ont bénéficié d’une mise en liberté provisoire respectivement en octobre 2019 et février 2020. D’emblée, la bataille de procédure a été ouverte par Me Ciré Clédor Ly sur la qualité des gendarmes, en l’occurrence Serigne Sam Ngom, Amadou Ba et Modou Samba Ndione, qui ont été présentés en qualité de partie civile à la barre. A en croire l’avocat, les gendarmes, même s’ils ont été blessés, restent des témoins de ce qui s’est passé sur le théâtre des opérations. Par conséquent, Indique Me Ly, ils ne doivent pas assister au débat d’audience et doivent être isolés.
Débat houleux la qualité des gendarmes entre la défense, la partie civile et le parquet
Le procureur s’est insurgé contre cette remarque et a rappelé que les gendarmes ont été cités à comparaitre en tant que parties civiles et ont toujours été entendues en cette qualité dans la procédure. Une remarque confortée par le conseil des pandores, Me Khassimou Touré, qui relèvent que ses clients ont exhibé des certificats médicaux pour avoir été blessés lors de cette opération ; en plus d’être entendus et convoqués en qualité de partie civile. En effet, lors de leur déposition, les gendarmes ont révélé qu’ils ont été blessés par des éclats de balle. Serigne Sam Ngom révèle que certains éclats sont toujours dans son corps et ne peuvent être extirpés. Même si, par ailleurs, son certificat médical remonte à deux jours avant le procès. En tout état de cause, entre la défense, la partie civile et le parquet, les débats sur la qualité des gendarmes étaient houleux, avant que le juge ne tranche en faveur du parquet. Ainsi, les gendarmes sont restés dans la salle pour assister aux débats en qualité de plaignants.
Le ton est ainsi donné et l’interrogatoire des gendarmes à la barre n’a pas fait exception. Pour rechercher la vérité et situer les responsabilités dans ce procès, les pandores n’ont pas été ménagés par les avocats de la défense sous la houlette de Me Ciré Clédor Ly. Les hommes en bleu ont été bousculés et souvent installés au banc des accusés comme le bourreau de leur commandant.
Une opération risquée sans casques ni gilets pare-balles et sans vérification des armes
Cette posture des avocats de la défense de confondre les éléments du défunt commandant résulte de la réaction et du comportement des gendarmes durant cette intervention. Tout est parti de l’arrivée en catastrophe d’un des gardiens de la Poste Finances de Koumpentoum ensanglanté à la Brigade de gendarmerie de la localité, pour faire part de la présence de malfaiteurs à la Poste, avant de révéler avoir été blessé par les assaillants. C’est ainsi que le commandant, alerté, a sommé ses éléments de prendre les armes. Le commandant, accompagné de trois de ses éléments, en l’occurrence Serigne Sam Ngom, Amadou Ba et Samba Ndione, en plus du chauffeur Malamine Diédhiou, se sont engouffrés dans le véhicule Pick-up de la gendarmerie (le commandant étant devant, les autres à l’arrière) avant de prendre la direction de la Poste en vue d’intervenir. Selon Serigne Sam Ngom, c’est à quelques mètres de l’arrivée à la Poste qu’ils ont entendu un coup de feu.
Les gendarmes avouent avoir battu en retraite, laissant le commandant blessé sur place, pour chercher des renforts
Suite à ce premier coup de feu, le commandant, dit-il, a demandé si c’est nous qui avions ouvert le feu. «Nous avons dit non. Le commandant est descendu du véhicule et c’est à ce moment qu’il a été touché au second coup de feu. Nous nous sommes planqués derrière les pneus du véhicule et nous avons voulu riposter. Mais nos armes ne fonctionnaient pas», explique le gendarme qui révèle dans la foulée que le chauffeur également n’avait pas réussi à redémarrer le véhicule et est sorti du côté où le commandant était tombé. C’est ainsi qu’ils ont battu en retraite laissant le commandant sur place pour demander des renforts. D’autant plus que les trois gendarmes qui étaient à l’arrière du véhicule ont été blessés.
Des actes posés par les pandores qui ont suscité des interrogations de la part des avocats de la défense. En effet, la défense, notamment Me Abdoulaye Sène, ne peut comprendre que les gendarmes puissent abandonner leur commandant sans même s’assurer s’il était mort ou vivant. A cette remarque, Malamine Diédhiou de préciser qu’à ce moment, un des assaillants en provenance de la Poste se dirigeait vers le véhicule et il était hors de question de rester sur place. D’autant plus que leurs armes ne fonctionnaient pas. A la question de savoir s’ils avaient porté des gilets et des casques pour une opération aussi risquée, Serigne Sam Ngom a répondu par la négative.
Les gendarmes ont aussi été interpellés par rapport à l’origine des tirs et ils sont unanimes à dire que les tirs provenaient de la Poste. Mais là où le bât blesse, de l’avis de Me Sène, c’est la position du commandant. En effet, c’est le chauffeur qui faisait face aux tirs. Par conséquent, il ne comprend pas que la balle puisse traverser le chauffeur pour atteindre le commandant au milieu de la tête et à l’épaule.
Me Sène : «vos réponses prouvent que c’est vous qui avez tué le commandant»
Pour lui, la balle qui a tué le commandant ne pouvait provenir de la Poste, mais des gendarmes qui étaient à l’arrière du véhicule. «Ce n’est qu’une personne qui surplombait le commandant qui pouvait être l’auteur de ce tir», charge Me Sène. D’autant plus qu’il y a, dit-il, des impacts de balles sur le toit du véhicule. A cette remarque, les gendarmes rappellent qu’ils n’ont pas tiré, avant de réitérer qu’ils étaient planqués derrière les pneus du véhicule. «Est-ce que ce n’est pas par manque d’expérience ou maladresse que l’un d’entre vous a tiré sur le commandant ?», interroge l’avocat. Acculés dans cet exercice de questions-réponses, les gendarmes ont décidé d’opposer par moments l’omerta sur certaines remarques de la défense. Loin d’être convaincu par les réponses des gendarmes et le comportement des hommes en bleu, Me Abdoulaye Sène de marteler : «vos réponses prouvent que c’est vous qui avez tué le commandant. Si j’étais commandant de la gendarmerie, j’allais porter plainte contre vous».
Le principal témoin revient sur ses propos
L’un des gardiens de la Poste Finances, en l’occurrence Madjibou Sidibé, considéré comme le principal témoin dans cette affaire, n’a fait que varier dans ses déclarations à la barre. Pourtant, le jour du meurtre du commandant Sané, il avait vers 17 heures rencontré un convoi de quatre motos et les motards lui ont demandé si la Poste avait convoyé des fonds. Avant de donner des détails sur la marque des motos, mais aussi sur l’une des personnes croisées qui aurait une dent en or. Pour rappel, d’après le receveur, la Poste était à court de liquidités et avait rassuré les clients que des fonds seront convoyés vers 18 heures. Les assaillants avaient-ils accès à cette information ? Tout porte à le croire. Seulement, à la barre, le témoin n’a pas été en mesure de reconnaitre ceux qu’il a rencontrés parmi les accusés. A l’en croire, lors de cette rencontre, ils étaient enturbannés. Quid de l’homme avec une dent en or ? Il révèle que l’homme qu’il a vu était plus grand et plus costaud. Sur la marque des motos, le sieur Sidibé s’est encore débiné au point que l’un des conseils des plaignants s’est demandé s’il a été menacé avant la tenue du procès.
Les accusés nient en bloc
Dans ce procès de meurtre, l’audition des accusés n’a commencé que vers 19 heures. Et c’est Idrissa Sow alias Peul bou rafet, considéré comme le cerveau de la bande, qui a été le premier à faire face aux questions des juges. Et c’est pour botter en touche toutes les charges qui pèsent sur lui. Habitué des prétoires, il a indiqué que ses aveux à l’enquête ont été extorqués sous le coup de la torture. En effet, à la suite de son arrestation à son domicile, les gendarmes lui auraient dit : ‘’quand on aura fini avec toi, tu vas tout avouer’’. Des menaces qui ont été mises à exécution. Ce qui l’a poussé à donner les noms de ses amis. Même si, de l’avis du représentant du parquet, à l’enquête, il avait reconnu cette association de malfaiteurs et avait en sus spécifié la tâche de chacun dans le groupe. Il avait aussi dit qu’ils étaient cinq et ont d’abord cambriolé un atelier de menuiserie métallique, avant de faire un convoi en direction de la Poste Finances. En sus, il a révélé que c’est Moussa Diao et Doudou Ba alias Demba Ciré qui détenaient les armes. Suite à ce rappel de ses déclarations, il s’est réfugié derrière son analphabétisme pour réfuter ses propos. «J’ai signé sans savoir ce qui était consigné dans le procès-verbal», dit-il. Les autres accusés ont également abondé dans le sillage pour contester les faits…
Moussa CISS (envoyé spécial à Tambacounda)
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