Le Danemark, la Norvège et l’Islande ont choisi de suspendre l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca, après des « cas graves de formation de caillots sanguins » chez certains patients. Précaution extrême ou inquiétude fondée ? Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux, nous livre des éléments de réponse préliminaires, en attendant des études plus poussées.
Plusieurs pays européens ont décidé jeudi de suspendre l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca. Le Danemark, la Norvège et l’Islande, s’inquiètent de la formation de caillots sanguins chez certaines personnes à qui ce vaccin a été administré. L’Agence européenne des médicaments (EMA), maintient la position inverse, en rappelant que 22 thromboses seulement ont été observées dans l’ensemble de sa zone de surveillance (Union européenne, Norvège et Islande), alors que plus de 3 millions de personnes y ont reçu ce vaccin.
Le ministre de la Santé français, Olivier Véran, a jugé ce soir qu’il n’y avait « pas lieu de suspendre » les injections du vaccin d’AstraZeneca : « Le bénéfice apporté par la vaccination est jugé supérieur au risque à ce stade », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse.
Professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux et spécialiste de la surveillance des vaccins, Bernard Bégaud nous aide à comprendre un tel écart de positions, en nous éclairant sur les données du problème connues à ce jour.
Qu’est-ce qui a poussé ces pays à suspendre l’AstraZeneca ?
Bernard Bégaud : Ils ont identifié, grâce à leur système de pharmacovigilance, des problèmes de coagulation qui ont suivi l’administration du vaccin : c’est-à-dire des embolies, de l’hyper-coagulation, des thromboses. Face à ces effets indésirables, ils ont donc suspendu la vaccination à l’AstraZeneca. C’est une attitude de précaution, puisqu’il n’est pas encore démontré qu’il y a vraiment un lien. Mais ça reste possible, puisque ces phénomènes ne sont pas si fréquents, et qu’ils en ont observé plusieurs au cours de la vaccination. La formule de prudence, c’est « le lien n’est pas prouvé », mais il y a là un signal assez fort pour ne pas être négligé.
Des choix très différents d’un pays à l’autre
Est-ce qu’il n’y a pas des effets statistiques dus à l’ampleur inédite de la vaccination ?
C’est le deuxième élément à ne pas oublier pour analyser la situation actuelle. Le seul précédent en partie comparable, c’est la vaccination massive contre l’hépatite B en France de 1994 à 1998 (un tiers de la population française avait été vaccinée, NDLR). C’est donc la première fois qu’on administre un vaccin à une population complète, tous âges confondus. Habituellement, la plupart des vaccins sont administrés aux deux extrêmes de la vie, chez les très jeunes ou chez les seniors, pour la grippe par exemple. Entre les deux, la population est vaccinée en fonction de risques précis ou ponctuels. On n’a tout simplement pas l’expérience de ce qui se passe chez des adultes avec des vaccins. On est donc dans un effet de statistique, mais on entre aussi dans un champ expérimental.
Il y a aussi l’hypothèse d’un même lot défectueux qui pourrait être à l’origine de ces effets secondaires enregistrés dans plusieurs pays ?
C’est le troisième point, à ce stade de nos connaissances, cette question des lots. Ça me surprendrait, par expérience, mais il est théoriquement possible qu’ils viennent d’un même patch de fabrication. Il peut y avoir eu une contamination, ou un excipient défectueux. Je ne vois aucun précédent, mais ça ne veut pas dire que ça n’existe pas. Et en France, ça ne va pas nous simplifier la vie, parce que les gens vont se méfier.
Pour l’instant, il est difficile de conclure. Mais ce qui me rassure, c’est l’exemple anglais. S’il y avait eu un effet monstrueux sur les embolies ou les accidents vasculaires, et malgré un éventuel conflit d’intérêt, ils ont une trop grande transparence pour le dissimuler.
Source: LCI
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