Les 13 accusés interrogés, hier, à la barre de la Chambre criminelle de Mbour, dans cette affaire relative au double meurtre de Madinatoul Salam, ont complété la liste des 19 personnes inculpées dans ce crime de sang. Ces derniers ont valsé entre variations et revirements devant le juge. Tout en tentant de disculper leur guide, en l’occurrence Béthio Thioune, jugé par contumace.
Au second jour du procès du double meurtre de Madinatoul Salam, au Tribunal de grande instance de Mbour, les accusés Khadim Seck, Serigne Saliou Barro, Mamadou Hann dit Pape, Samba Ngom, Mame Balla Diouf et Demba Kébé ont été soumis, dans la matinée, au feu roulant des questions du président de la Chambre criminelle, Thierno Niang, du représentant du parquet Youssou Diallo et des différents conseils constitués dans cette affaire. Une épreuve pour certains, une occasion pour d’autres qui ont profité de cet interrogatoire d’audience pour faire un revirement à 180° suite à leurs déclarations circonstanciées, aussi bien à l’enquête préliminaire que devant le magistrat instructeur. C’est le cas de Serigne Khadim Seck, en détention prévention pour association de malfaiteurs ; recel de malfaiteurs, homicides aggravés et détention d’arme sans autorisation administrative. En effet, il a été présenté comme l’auteur du coup de feu qui a été fatal à Ababacar Diagne lors de cette bagarre entre les talibés de Cheikh Béthio à Madinatoul Salam. Invité par le juge à revenir sur les faits, l’accusé révèle qu’il devait se rendre à Dakar, avant de rebrousser chemin puisqu’il n’avait pas de véhicule. «Lorsque je suis arrivé à la maison du Cheikh, il y avait beaucoup de personnes et un vacarme indescriptible à cause des échauffourées. J’ai alors pris mon arme (un fusil calibre 12) pour faire des tirs de sommation afin de disperser la foule. Malheureusement, au quatrième tir, avec la rapidité d’exécution, la balle est partie par inadvertance», indique Khadim Seck, qui rappelle que c’est son guide qui lui avait donné l’arme en 2012 pour veiller à son troupeau de bœufs. Il dit ignorer si la balle a atteint une cible. C’est le lendemain, dit-il, qu’il a été informé de la mort par balle du sieur Ababacar Diagne. Un rappel des faits biaisé, à en croire le juge Thierno Niang, non sans préciser que l’accusé, depuis l’enquête, a au moins changé de version à quatre reprises. Selon le juge, certains témoins ont vu l’accusé tirer en direction de la foule. D’autres témoins également rapportent qu’il a été sommé par ses compagnons de viser la foule.
Auditionné à quatre reprises à l’enquête, Khadim Seck sert une nouvelle version à la barre
Cette variation dans le discours de l’accusé n’a pas échappé au représentant du parquet Youssou Diallo. «J’ai donné trois coups de feu en l’air pour les dissuader. J’ai donné aussitôt un quatrième coup dans le tas qui a atteint une personne qui s’est immédiatement effondrée», avait soutenu Khadim Seck devant les enquêteurs de la gendarmerie. Une déclaration qu’il conteste, indiquant que c’est des aveux extorqués puisqu’il a été frappé. Seulement, cette déclaration relevée dans le procès-verbal d’enquête a été confirmée par le témoin Ndiaga Touré, qui révèle que Khadim Seck a fait trois tirs de sommation avant d’être poussé par ses compagnons à tirer sur la foule. Faux, se défend l’accusé, qui ne manque pas de relever l’ingratitude du témoin, pour l’avoir hébergé avec son épouse par le passé. En tout état de cause, le procureur relève que cette version selon laquelle la balle est partie au moment où il s’apprêtait à tirer, n’a jamais été mentionnée lors des différentes auditions de l’accusé. Pour se dédouaner, Khadim Seck de souligner : «je ne l’ai pas dit au juge parce que je considère que cette version a son importance à la barre (fii la saffé)», lance l’accusé. Le représentant du ministère public voit en ce revirement une tentative de se soustraire du glaive de la justice.
Demba Kébé et son intervention musclée pour sauver une femme enceinte
Assureur de son état, Demba Kébé s’est taillé les habits d’un individu à la quête de l’excellence devant la Chambre criminelle. Un bref récit sur sa personnalité révèle au grand jour son tempérament impulsif au point d’être «calmé» par le juge. En tout cas, dans cette affaire, il a été présenté par certains témoins et accusés comme celui qui a été le plus engagé lors de la bagarre entre disciples de Cheikh Béthio. Il incitait ses partisans à attaquer le groupe du défunt Bara Sow. Des accusations qu’il a contestées à la barre. «Sortez de la maison, c’est ce que j’avais dit. Si c’est cela inciter à la violence, je n’y comprends plus rien», indique-t-il, avant de se décharger sur Bara Sow, dont la présence au domicile du Cheikh sonne comme une provocation. «Il devait se conformer à la volonté du Cheikh qui ne voulait plus le voir. Sa présence engendre de la violence, il devait rester chez lui», ajoute l’accusé qui révèle, dans la foulée, avoir sauvé une femme enceinte lors de la bagarre. Cette femme vulnérable, dit-il, avait un couteau à la main. Et, pour la sauver, il l’a projetée par terre, avant de lui administrer une paire de claques. Une intervention musclée qu’il considère comme une «ruse» pour ne pas se faire attaquer par le groupe antagoniste. Interpellé sur son T-shirt jaune tacheté de sang, Demba Kébé d’indiquer que le sang provient de la femme enceinte. Selon lui, lorsqu’elle est tombée, son front s’est cogné contre le sol. Interpellé sur l’attitude de son guide à la suite des faits, Demba, à l’image de tous les accusés qui se sont succédé à la barre, a lavé le guide des Thiantacounes à grande eau. Mieux, Demba Kébé ne manque pas de le présenter comme un guide responsable. Il en veut pour preuve cette phrase du Cheikh : «je ne suis entouré que d’ignorants. Comment des personnes sensées peuvent tuer et enterrer des gens de cette façon ?», aurait dit le Cheikh. «Cela m’a fait honte», renchérit l’accusé.
Mame Balla Diouf : «si on avait abandonné les cadavres sur place, il allait y avoir d’autres morts»
Pour justifier le déplacement des cadavres de la devanture de la maison du guide des Thiantacounes, Mame Balla Diouf, chef maçon, révèle que c’était pour éviter d’autres pertes en vies humaines. «Si les cadavres étaient restés sur place, il allait y avoir d’autres morts sur les lieux, car la présence des corps sans vie sur le lieu des échauffourées ne fait qu’attiser la violence», fait-il remarquer. C’est pourquoi, dit-il, ils ont trimballé les corps pour les dissimuler loin de la maison du Cheikh en brousse. Cependant, Mame Balla Diouf n’a pas fait que déplacer les cadavres. Il reconnait à la barre avoir creusé, avec certains de ses coaccusés, la tombe avant d’enterrer les corps de Bara Sow et de Ababacar Diagne. «Qu’est-ce que ça fait dans ta conscience d’enterrer tes frères musulmans de cette façon, comme des chiens ?», interroge le juge. «Après l’enterrement, ma conscience m’a dit que j’ai fait quelque chose que je ne devais pas faire. C’est pourquoi j’ai décidé de rencontrer le chambellan de Cheikh Béthio, à deux reprises la nuit, pour le lui dire. J’ai également essayé de rencontrer Cheikh Béthio, mais en vain. Le lendemain, lorsque les gendarmes sont arrivés, je me suis rendu», rétorque l’accusé, qui comparait pour association de malfaiteurs, homicides aggravés, recel de cadavres, inhumation sans autorisation administrative. En effet, Mame Balla Diouf a aussi participé à la bagarre. Du moins, à en croire ses déclarations à l’enquête. Devant les enquêteurs, il révèle qu’il était sorti avec un gourdin avant qu’il ne soit arraché de ses mains par Abdoulaye Diagne. A la barre, il sert une version contraire pour se présenter comme un pacifiste. «C’est moi qui arrachais les gourdins des mains des talibés pour éviter une effusion de sang», précise le sieur Diouf.
Du sang humain ou de mouton sur le véhicule du Cheikh ?
Une question reste encore en suspens dans ce procès du double meurtre de Madinatoul Salam. C’est le sang trouvé dans le véhicule pick-up mono cabine de Cheikh Béthio Thioune et conduit le jour des faits par Mamadou Hann dit Pape. En tout cas, il ne faut pas compter sur le chauffeur pour vendre la mèche. A l’en croire, il s’agit du sang de mouton puisque la veille, il avait transporté des carcasses de moutons. L’autre chauffeur, celui du Hammer, Aziz Mbacké Ndour qui a bénéficié d’une mise en liberté pour vice de procédure, confirme également cette version. Le Cheikh, dit-il, était à bord de ce véhicule qui ne s’est jamais rendu sur le lieu où les corps ont été enterrés. Samba Ngom, un autre chauffeur du guide des Thiantacounes, interpellé sur ce fait, s’est aussi braqué. «Quand je suis revenu, j’ai garé mon véhicule et je suis rentré», lance-t-il, avant d’indiquer que s’il a été inculpé, c’est parce qu’il n’a aucune information relative à la bagarre. En tout cas, comme un effet de contagion, tous les accusés ont pris la défense de leur guide jugé par contumace dans cette affaire.
Des pacifistes armés de gourdins
Suite aux échauffourées qui ont opposé les disciples de Cheikh Béthio, seules les victimes ont trainé des marques de violences et de sévices. S’agissait-il d’une bagarre ou d’une correction ? En tout cas, l’un des conseils de la partie civile trouve bizarre le fait qu’aucun blessé n’a été enregistré dans les rangs des talibés de Béthio, notamment les accusés. S’y ajoute que la plupart des accusés présents lors de cette bagarre avaient un gourdin ou une pierre à la main. C’est le cas de Mame Balla Diouf, Aldemba Diallo, Mouhamed Sène, Mamadou Guèye dit Pape Malaka qui a participé à la bagarre et la liste est loin d’être exhaustive. Même si ces derniers accusent Bara Sow d’être à l’origine de cette violence, tous étaient au courant des troubles mentaux de celui-ci. C’est l’avis du juge qui rappelle que Bara Sow a, à plusieurs reprises, été interné à Dalal Xel par leur guide. Ce qui a été attesté, d’après le juge, par un médecin psychiatre qui avait conclu d’une paranoïa développée par Bara Sow. Suffisant aux yeux du juge pour comprendre ses délires, les plus déplacées. Malheureusement, cette présence d’esprit n’avait visiblement pas prévalu lors de cette bagarre sanglante. Aujourd’hui, les différents témoins vont défiler à la barre de la Chambre criminelle. Et l’attraction sera sûrement l’épouse de Cheikh Béthio Thioune, Sokhna Aïda en l’occurrence, mais également le frère de Bara Sow tué lors de cette bagarre de Madinatoul Salam en 2012.
Moussa CISS (Envoyé spécial à Mbour)
jotaay.net
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