Tabaski : Les incroyables folies de ces acheteurs de moutons

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La fête de la Tabaski approche à grands pas. Et malgré la crise économique causée par la pandémie de coronavirus, certains chefs de famille sont prêts à consentir des folies pour acquérir un beau bélier. “L’Obs” a visité quelques foirails et en est revenu avec des anecdotes croustillantes.

Dans la bergerie Galoya installée à Grand-Dakar, à côté du Lycée Blaise, Adama Ndour supervise toutes les activités. Au moment où certains nettoient la bergerie, d’autres préparent la nourriture pour les centaines de moutons attachés sous une bâche. Ici, on est de plain-pied dans les préparatifs de la fête. Le personnel habillé aux couleurs de la bergerie observe scrupuleusement les gestes barrières pour lutter contre le Covid. Masque sur le visage, Adama Ndour, gérant de la bergerie, renseigne : «Le coronavirus a impacté tout le monde, mais ça n’empêche pas à notre clientèle de venir acheter nos moutons.»

Dont les prix oscillent entre 150 000 et plus de 2 millions e FCfa. L’endroit est le lieu de rencontre des artistes, ministres et autorités administratives qui ne lésinent jamais sur les moyens pour repartir avec de beaux béliers. Et se permettent même parfois de grandes folies. La confidence est d’Adama. Il affirme : «Ce sont de grandes personnalités qui viennent tous les jours acheter nos moutons. Il faut aussi signaler que nous recevons parfois des acheteurs qui ne regardent pas à la dépense.»  Comme ce client qui, sans marchander, a jeté son dévolu sur deux de leurs plus beaux béliers.

«C’est un monsieur connu, mais je ne peux vous révéler son nom. Il a acheté cash deux moutons à 2 millions. C’est un fervent talibé mouride et je pense que c’est pour l’offrir à son guide religieux. Mais mon constat est que ce sont les hommes d’affaires qui achètent les moutons les plus chers. Ils sont nos meilleurs clients. Et ils sont capables d’acheter rubis sur l’ongle un mouton à 3 millions Fcfa. Il y a aussi des éleveurs qui achètent des géniteurs à plus de 2 millions de FCfa.» Pour Adama Ndour, l’opération Tabaski 2020 pourrait se passer bien, même si les Sénégalais sont frappés par la crise économique causée pas la pandémie de coronavirus.

«Un homme m’a donné sa voiture en garantie en échange d’un mouton à un million»

Autre endroit, autre situation. Au marché des HLM, est aménagé un point de vente de moutons de Tabaski. Ici, l’ambiance est au rendez-vous. Les Klaxons des véhicules se mêlent aux bêlements des béliers. Dans ce marché, est implantée la Bergerie Doudou Codou Diop, sous une tente blanche. Opérateur depuis deux ans, Mamadou Diop est le propriétaire de cette bergerie où sont attachés plus de 100 moutons, dont les prix varient entre 250 000 et 1 000 000 F Cfa. Dans un tee-shirt bleu foncé sur lequel on peut lire le nom de la bergerie et un numéro de téléphone, le trentenaire a bien mis son masque pour éviter de choper le virus dans ce marché devenu le lieu de convergence de beaucoup de gens.

Assis au milieu de ses petits ruminants, muni d’un bâton, il se lève à chaque fois que de besoin pour remettre de l’ordre dans son troupeau. L’homme espère écouler ses béliers avant la fête, même si, à quelques jours de la Tabaski, ce n’est pas encore le grand rush dans les différents points de vente de moutons à Dakar. Alors qu’en pareille période, les années passées, les artères de la capitale sénégalaise étaient envahies de moutons. Un fait que Mamadou justifie par le manque d’argent causé par la Covid-19. «Le marché n’est pas bien approvisionné en moutons parce que nous sommes en période de crise sanitaire et beaucoup de pères de famille n’ont pas d’argent pour acheter nos moutons que nous avons élevés durant neuf mois», a dit Mamadou Diop.

Cette situation, pense-t-il, justifie les folies de certains acheteurs. Comme ce père de famille qui s’est présenté à lui, le week-end dernier pour acheter un mouton. «Il s’est pointé chez moi avec 500 000 FCfa. Mais comme c’est un adepte du m’as-tu-vu et qu’il craint les représailles de son épouse, une bourgeoise des quartiers huppés de Dakar, il m’a fait une proposition rocambolesque. C’était la première fois que je voyais ça. Bien que je lui aie proposé un mouton acceptable pour la Tabaski, lui voulait un gros bélier pour épater sa dame, comme il avait l’habitude. Il a proposé de me laisser en garantie sa voiture, une belle Kya Sportage neuve, en échange d’un mouton à un million. A charge pour lui de compléter la somme d’ici à la fête et de venir récupérer sa voiture que j’ai parquée chez moi. Je ne suis pas un prêteur à gage, mais il a tellement insisté et comme la voiture vaut plus que le prix du mouton, j’ai accepté le marché.» On avance.

«Le Ladoum ou le divorce»

A Castor (Dakar), la grande bergerie «Khalifa Ababacar Sy» trône à côté de la station-service. Ici, il y a tout type de moutons. Des Ladoum, des Bali Bali, des coggal (moutons venus du monde rural), sont tous mis à la disposition des acheteurs. Dans son caftan bleu, le masque sur le visage, Vieux Seye est le propriétaire de cette bergerie d’une grande envergure. Il fait un rapide tour d’horizon avant de prendre place près du plus gros bélier de la bergerie qu’il caresse sur le dos. Vieux Sèye est en pleine opération Tabaski. Un business qu’il effectue depuis maintenant plus de trente ans.

«Depuis 30 ans, je vends des moutons de Tabaski. Je suis propriétaire d’une grande bergerie où j’élève des moutons et des bœufs de race hollandaise», informe M. Seye. Pour cette année, l’opération Tabaski se passe dans un contexte de pandémie. Même si certains pères de famille ont du mal à se payer un bon mouton, d’autres n’hésitent pas à visiter la Bergerie Khalifa Ababacar Sy, où les prix des moutons varient entre 200 000 et 3 millions F Cfa.

«Tous les jours, je reçois des acheteurs, surtout de grandes personnalités. Ma bergerie est connue par la plupart des autorités et des stars de la musique. C’est eux qui constituent la majeure partie de ma clientèle», confie Vieux Seye qui se rappelle encore ce gros client qui a dépensé plus de 5 millions dans sa bergerie lors de la Tabaski 2019. Barbichette bien entretenu, le regard vissé sur les cornes acérées de son bélier fétiche, il remonte le temps.

«C’est une grande star du showbiz. Mais il ne s’est pas présenté personnellement ce jour-là. Il a envoyé son homme de confiance. L’homme est venu me murmurer que son ami cherchait deux béliers à offrir à son marabout et à son père. Je ne l’ai pas cru jusqu’à ce qu’il me dévoile une grosse enveloppe remplie de liasses. Je n’en croyais pas mes yeux, mais c’était une affaire en or pour un businessman de ma trempe. Je n’ai pas hésité et je lui ai proposé deux Ladoum. L’un à 3 millions et l’autre à deux millions. Il a payé sans hésiter et est reparti avec les deux bêtes. Si j’avais ce genre de clients tous les jours, en moins de deux, j’aurais écoulé mes moutons chaque année. Mais ce n’est pas chaque jour que la chance nous sourit.»

Seye est allé vite en besogne, car à peine sa phrase terminée qu’un client se présente à lui pour commander trois moutons. Une aubaine qui lui arrache un sourire non feint. «J’ai peut-être parlé trop vite», sourit-il. Avant de poursuivre : «Beaucoup de personnalités m’ont acheté des moutons à 1,5 ou 2 millions F Cfa. J’ai un client qui a acheté deux moutons à 4 millions F Cfa et un autre a acheté deux moutons à 3,5 millions F Cfa. Ceux-là qui achètent les moutons les plus chers sont souvent des disciples qui donnent comme «adiya» des moutons à leur guide religieux. Certains Sénégalais, même si le monde s’effondrait, achèteront le type de moutons qu’ils ont l’habitude d’acheter pour la Tabaski», termine Vieux Seye.

Khalifa Sall ne dira pas le contraire. Lui aussi a eu son lot d’«excentricités». Au Terminus Liberté V où il a installé sa bergerie, le natif de Pout dans la région de Thiès sacrifie au rituel du petit-déjeuner avant d’entamer une dure journée de labeur. L’homme est assis au milieu de 128 moutons qu’il cherche à échanger avec des billets de banque. De grande taille, le teint hâlé, le quadra effectue l’opération de Tabaski depuis plusieurs années.

«Durant les dix jours que j’ai passés ici, je n’ai vendu que 22 moutons sur 128 têtes. C’est inquiétant. J’ai fait un prêt de 3 millions F Cfa pour faire mon business mais malheureusement les clients n’ont pas d’argent pour se payer des béliers», déclare l’opérateur. Fixant ses prix entre 135 et 700 000 F Cfa, M. Sall dit rencontrer beaucoup de difficultés sur le marchandage avec ses clients. «Le mouton le moins cher dans ma bergerie coûte 135 000 F Cfa et le plus cher 700 000 F Cfa. Parfois j’ai des complications avec des acheteurs qui viennent choisir des moutons de 200 ou 300 000 F Cfa, alors qu’ils n’ont que 100 000 F Cfa ou moins dans leur porte-monnaie. Le sérieux problème avec les clients, c’est qu’ils n’ont pas d’argent. Surtout avec cette pandémie de coronavirus. Pour avoir un mouton de Tabaski, certains te supplient tout en te racontant tous les problèmes de leur famille. Pas plus tard qu’hier, un homme s’est présenté à moi. Il semblait déboussolé. Il m’a expliqué que chaque année, il achetait un gros Ladoum pour son épouse, mais cette année avec cette crise, il n’en a pas les moyens. Son épouse, certainement une de ces femmes capricieuses et matérialistes, lui a posé un ultimatum : ce sera un Ladoum, sinon elle quitte le domicile conjugal. Je suis tombé des nues quand il m’en a fait part, gêné aux entournures. Comment un homme peut-il accepter de se laisser imposer des conditions de la sorte ? L’homme était stressé. Les Ladoum coûtent minimum 600 000 FCfa. Lui n’avait que 200 000  FCfa en poche. Il me les a proposés et m’a juré de revenir compléter dans les jours qui suivent. Lui, voulait juste rentrer avec le Ladoum afin de rassurer sa grincheuse de femme, mais j’ai refusé. Je n’ai aucune garantie, en plus je ne le connais pas. S’il disparaissait avec mon mouton, c’est moi qui perdrais», argue-t-il avant d’inviter les femmes à être plus raisonnables. «Les femmes doivent savoir raison garder. La Tabaski, c’est une histoire d’un jour. Elles ne doivent pas pousser leurs hommes à faire des folies pour leurs beaux yeux. Juste pour un mouton.

IGFM

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